
Shirin Gunny, directrice générale du label Made in Moris affirme que dix ans après l’implémentation du Label Made in Moris, “le momentum est là”. Selon elle, le Made in Moris est à l’image d’un multipliant, un arbre fort, indestructible et qui ne cesse de grandir même si elle déplore “l’absence de level playing field”.
Publié dans Investor’s Mag, 23e édition, Dec 22 – Mars 23
2022 a été une année riche en évènements et de défis surmontés. Quel est votre regard sur cette année écoulée?
C’est un sentiment d’accomplissement et de fierté qui m’anime. Si on regarde le chemin parcouru, surtout en cette année de nos dix ans, j’ai le sentiment qu’on a enfin atteint un « momentum ». Un projet de l’envergure du Made in Moris prend du temps à mûrir. L’écosystème prend du temps à être construit. On ne peut pas être pressé dans un tel projet. Le Made in Moris est un projet national et collectif qui vise à tisser des liens avec tout un écosystème. Le momentum est là. Nous sentons bien l’unanimité qui se construit autour du Made in Moris aujourd’hui. Il y a unanimité sur la pertinence d’un label qui va bien au-delà d’un label traditionnel.
Justement, parlons de cette unanimité. A quoi l’attribuez-vous?
Le Made in Moris est rassembleur et apporte un sentiment d’appartenance. C’est ce dont on avait grand besoin pour cette étape charnière. A la suite du Covid, Maurice a besoin de se repositionner sur des enjeux plus sérieux et plus urgents que jamais : la transition énergétique, l’écologie, le développement durable, le recyclage des déchets, l’économie circulaire, les ressources humaines et la pertinence de notre secteur manufacturier.
J’observe enfin ce ralliement des wagons. Le label fait sens pour tout un chacun. Il est indéniable qu’il sert de reconnaissance de la qualité de notre production mais valorise également ce que nous sommes capables de faire seul ou ensemble. On peut accomplir tellement de choses quand il y a ce mariage entre les industries manufacturière, tourisme et services. Comme cela a été le cas cette année avec la collaboration Sustainable Island Mauritius et Made in Moris. Le label repositionne notre pays vers une destination touristique que l’on veut plus attrayante, durable et inclusive.
Vous avez également marqué 2022 avec le lancement du Made in Moris Pledge…
Pour nous, le Made in Moris Pledge est un « milestone » que nous avons identifié depuis la création du label. Depuis notre premier jour, nous avons voulu que ce label soit le pont entre les offres de l’industrie manufacturière et les différentes demandes des autres secteurs, comme le secteur hôtelier par exemple. Nos projets de 2022 ont démontré qu’il y a une cocréation à penser ensemble. Ils soulignent aussi que le Made in Moris Pledge joue un rôle déterminant dans la chaîne d’approvisionnement local.
Aujourd’hui, au bout de dix ans, on a non seulement l’offre qu’il faut, diverse et variée, mais on constate que le Made in Moris Pledge fait sens et que tout un chacun peut s’engager pour cet effet d’inclusion et multiplicateur de notre roupie. Chaque chef d’entreprise peut décider d’inclure le Made in Moris dans sa chaîne d’approvisionnement que ce soit en termes de Food & Beverages, de culture et de musique ou de services. Tout le monde peut participer à cette économie inclusive qui permet d’avoir un impact environnemental, économique et social positif. Notre Pledge est un outil pour créer ensemble de nouveaux projets d’avenir.
A quoi peut-on s’attendre alors que le Made in Moris entre dans sa deuxième décennie?
Je crois que le Made in Moris est à l’image d’un multipliant, un arbre fort, indestructible et qui ne cesse de grandir. A l’aide des ressources qu’il obtient du soleil mais aussi à travers la terre, il s’étale, s’étend et s’étoffe. Désormais, nous entamerons plusieurs projets et poursuivrons ceux qui sont lancés. Le flagship store Made in Moris à l’aéroport est devenu un must. Ce n’est plus possible qu’après 10 ans et avec toute cette diversité de marques qualitatives que les produits mauriciens ne soient pas vendus à l’aéroport. La demande des touristes est bel et bien là. Tout le monde y gagnerait et en premier la destination elle-même. Elle a besoin de se redéfinir et dans cette redéfinition, il faut vraiment mettre à l’honneur le savoir-faire mauricien et le caractère unique de nos marques. Par cette boutique, les adhérents se feront connaître et dans un deuxième temps, ils pourront être exportés. Enfin, une offre qualitative comme le Made in Moris serait une valeur ajoutée pour l’aéroport. C’est du business, c’est du branding pour l’aéroport et c’est avant tout du « country branding ». Notre aéroport devrait être le symbole de notre fierté et de notre envie de « portrait the best of what we are ».
Quels ont été les bénéfices du label à l’économie locale?
Le label a permis une réelle prise de conscience à différents niveaux. Nous avons construit une expertise industrielle qu’il fallait valoriser et qu’il faut consolider aujourd’hui. Le label est venu renforcer le sentiment d’appartenance à un pilier important de l’économie locale. La production locale génère des emplois et de la valeur pour notre économie. Le Made in Moris a aussi suscité une prise de conscience chez les consommateurs sur l’effet multiplicateur de chaque acte d’achat. Aujourd’hui, l’apport du label se voit dans différentes mesures gouvernementales et privées : les mesures budgétaires obtenues comme le Preferential Margin de 40% pour les PME labellisées Made in Moris dans les offres d’achat public, le 40% de shelf space pour les produits locaux ou le Buy Mauritian Programme et notre initiative le Made in Moris Pledge qui encourage l’intégration des produits Made in Moris dans la chaîne d’approvisionnement. Le plaidoyer que mène le Made in Moris bénéficie à l’ensemble de l’industrie locale. Pour mesurer ce qu’apporte la production locale, il faut travailler ensemble pour établir le baromètre de l’achat local responsable. Cela devient un outil indispensable.
Comment encourager la jeune génération à se lancer dans la production locale?
Soulignons d’abord que les PME sont les premiers employeurs du pays. A l’AMM et au Made in Moris, nous travaillons à changer la perception sur l’industrie locale. Nous avons aujourd’hui une équipe de 4 jeunes professionnels, de moins de 30 ans, qui s’est engagée à nos côtés. C’est un très bon signe. L’entreprise d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’usine de nos grands-parents. Les chefs d’entreprises, il y a 50 ans, ont eu un rôle de bâtisseur de notre économie. Il faut une relève. Aujourd’hui, dans nos entreprises, on parle intelligence artificielle, innovation, automation, numérisation, robotique, R&D et développement durable. Le monde d’aujourd’hui doit résoudre de nouveaux enjeux : approvisionnement local, production responsable, consommation responsable, changement climatique, tourisme durable, économie inclusive. Ce sont autant de thématiques où l’on retrouve nos industriels. Ce sont des enjeux qui demandent un regard neuf, de nouvelles compétences et de nouveaux métiers. S’engager dans la production locale, c’est s’engager pour un projet de société et un travail à impact positif. Notre mission est de créer un modèle économique plus inclusif et durable. Et cette mission parle certainement aux jeunes.
Quels sont les autres obstacles liés à la production locale?
Sans hésitation : l’absence de « level playing field ». En 2022, les mêmes règles ne s’appliquent pas pour les produits locaux et les produits importés. Il y a chez nos industriels, une volonté de transitionner vers des modes de production durables et responsables. On le voit sur le plastique et la gestion des déchets. Cela se réalisera uniquement par une concertation et un dialogue régulier entre nos industriels et les autorités publiques. Cela nécessite de vrais investissements et des mesures incitatives. Il nous faut la garantie de plus grands marchés, comme l’hôtellerie, les grands groupes ou les marchés publics.
Que représentent les accords de libre échange signé par Maurice avec la Chine, l’Inde et l’Afrique pour la production locale? Lequel de ces accords offre le plus de perspectives?
Ces accords représentent, sans doute, de réelles opportunités. Pour les saisir, il faut être préparé, connaître le marché, être solide sur son marché. Il y a une réalité : nous avons de sérieuses contraintes liées à l’emploi. Cela peut être un vrai frein si nous pensons ‘export’. Cela dit, nos entreprises ont toujours considéré que nos pôles de croissance se trouvaient hors de notre territoire. Du côté de l’AMM et du Made in Moris, nous nous intéressons d’abord à la région Océan Indien et ensuite aux pays de l’Afrique de l’Est. Il faut être réaliste sur la taille des marchés et le volume que nous pouvons exporter, en ce qui concerne les produits fabriqués par nos membres. Soulignons que nous regroupons des « Domestic Oriented Enterprises ». Avant la pandémie, nous avions mené deux missions au Kenya et il nous tarde de reprendre nos missions de prospection en 2023-2024. Nos produits ont de meilleures chances sur les marchés niche en Afrique.
A PROPOS DU MADE IN MORIS
Le Made in Moris est un label créé, il y a 10 ans, par l’Association of Mauritian Manufacturers, pour promouvoir le savoir-faire des manufacturiers locaux. Aujourd’hui, le label compte plus de 160 entreprises dont 50% sont des PME, 350 marques et 3600 produits. Le label est octroyé dans 7 secteurs : production industrielle, textile, agro-alimentaire, agricole, culturel et créatif, hôtellerie et industrie des services. L’octroi du label est fait en partenariat avec notre partenaire stratégique qualité, la SGS, leader mondial de l’inspection, du contrôle, de l’analyse et de la certification. La SGS amène au label, de la crédibilité, de par son indépendance, son impartialité et sa rigueur. Il est important de noter que l’adhésion au label est une démarche volontaire des chefs d’entreprises qui souhaite faire reconnaître leur engagement sur le marché local.
Comment devenir un Made in Moris?
Le Made in Moris labellise des produits ayant une marque et non des entreprises. Pour la labellisation, le Made in Moris s’appuie sur l’expertise du cabinet SGS qui évalue, avec l’équipe Made in Moris, les demandes d’adhésion via un Cahier des Charges. Il y a 2 critères essentiels pour être labellisé Made in Moris. D’abord, la preuve de la transformation locale, fixée à un minimum de 25% dans le cahier des charges. Cette transformation locale est la valeur ajoutée. Le second critère porte sur le chiffre d’affaires. 80% du chiffre d’affaires de la marque doit être réalisé à partir des produits fabriqués localement. Le processus de labellisation est avant tout une démarche volontaire de l’entrepreneur pour exprimer sa fierté de réaliser une production locale de qualité.
Un levier économique reconnu
Le label est reconnu par le gouvernement mauricien comme un véritable levier économique avec des mesures budgétaires spécifiques comme
- le Made in Moris Scheme avec SME Mauritius (jusqu’à Rs 50 000 proposées pour couvrir une partie des frais d’adhésion au label Made in Moris)
- le Buy Mauritian Programme (le gouvernement souhaite parvenir à 30% de sourcing local dans les achats publics et effectuer l’ensemble des marchés publics online)
- 40% des rayons des supermarchés réservés aux produits locaux
- 40% de marge préférentielle dans les marchés publics pour les entreprises labellisées Made in Moris
La voix de toutes les entreprises locales, et pas seulement celles au sein du Made in Moris, est plus forte aujourd’hui.