Le député du MMM, Reza Uteem, analyse la situation économique de Maurice et critique le gouvernement pour son incapacité à lancer de nouveaux piliers économiques.
Publié dans Investor’s Mag, 22e édition, Oct 22 – Dec 22
Le ministre des Finances vient d’annoncer une croissance supérieure à 7% pour le pays. Que pensez-vous de la situation actuelle de l’économie mauricienne?
Je prendrais ces chiffres avec des pincettes. Les annonces du ministre des Finances sont malheureusement peu crédibles. D’ailleurs, il avait annoncé un taux de 9% pour 2021, ce qui n’a pas éventuellement été atteint. Pour y croire, il faudrait qu’on ait des chiffres qui soient vérifiables. Or, avec la politisation de Statistics Mauritius, on sait que ces chiffres sont très peu « reliable ». Quand on parle de croissance, il faut faire la distinction entre la période pré-Covid et post-Covid. Avec la pandémie on a enregistré une contraction de plus de 14%. Forcément on ne peut faire autrement que d’enregistrer une croissance supérieure à ce qu’on enregistrait avant la Covid-19.
On ne peut pas dire que tous les secteurs économiques du pays ont atteint leurs niveaux pré-Covid. Le tourisme n’est pas la seule industrie à avoir souffert de la pandémie. Les autres secteurs d’activité ne se sont pas complètement remis. L’industrie cannière n’a pas encore trouvé le bout du tunnel, d’ailleurs où en sommes-nous avec la réforme cannière? Où en sommes-nous concernant l’autosuffisance alimentaire? L’offshore a lui subit un revers avec son inclusion dans la liste grise du GAFI et la liste noire de l‘UE. Qu’est-ce que le gouvernement fait pour redorer l’image de Maurice? Au niveau manufacturier, où sont les entreprises tant promises. On avait parlé du pharmaceutical hub, de la mise en place d’unités de production de vaccins. Aussi, tirons-nous vraiment profits des traités de libre échange signés avec l’Afrique, l’Inde, ou la Chine.
Ce qui est inquiétant, c’est l’absence de nouveaux secteurs d’activités ayant le potentiel de devenir des piliers de notre économie. Ce qui m’interpelle le plus c’est le développement portuaire. Nous avons un rôle majeur à jouer en tant que plateforme commerciale, centre pour le transbordement, pour l’Afrique, notamment avec la signature des différents traités de libre-échange. Il y avait déjà un master plan pour le développement du port, mais qui a été suspendu car nous n’avons pu attirer les investisseurs. Je comprends tout à fait la décision de Sanjeev Ghurburrun de démissionner comme Chairman de la MPA, car il n’a pu mener à bien sa mission en raison de l’ingérence.
Avec des accords tels la CECPA, la Zlecaf ou le FTA avec la Chine, nous aurions déjà dû avoir attiré des investisseurs désireux de se lancer dans la production, ou l’assemblage de produits à Maurice, et ainsi bénéficier du label Made in Mauritius, pour accéder aux différents marchés ; africain, indien ou chinois. Cela ne sert à rien d’avoir ce genre d’accords si on n’arrive pas à attirer les investisseurs. Le drame est que ce gouvernement nous a fait changer de la trajectoire d’une nation de producteurs à celle d’une nation de consommateurs.
La philosophie du ministre des Finances pour le développement du pays semble se résumer à emprunter pour pouvoir mieux dépenser, alors que le modèle économique adapté pour une petite économie comme Maurice, c’est de favoriser l’exportation. Avoir une croissance basée sur la production et l’exportation. Mais la politique du gouvernement est basée sur la consommation. Le problème avec ce modèle, c’est qu’on ne produit rien et que l’on importe tout.
Qu’en est-il du downgrading de Maurice. Quelles sont les conséquences d’une telle décision pour le pays?
En tant qu’agence de notation Moody’s vient donner une indication aux investisseurs qui prêtent de l’argent aux Etats. Elle jauge notamment les risques de défaut d’un pays. Les investisseurs se fient aux agences de notation avant de prendre une décision. Forcément, un ‘downgrade’ n’est pas une bonne nouvelle, elle vient dire que prêter de l’argent à Maurice est beaucoup plus risqué qu’avant. Ce sera donc plus difficile pour Maurice d’emprunter à des taux préférentiels.
Sommes-nous à l’abri d’un prochain downgrading?
Evidemment c’est une évaluation continue. On peut effectivement être inquiet surtout lorsque l’agence de notation vient critiquer la décision d’utiliser les réserves de la banque centrale pour financer les dépenses gouvernementales, ou encore que la MIC soit toujours une filiale de la Banque centrale. D’autant plus qu’on a une MIC qui a comme vocation première de sauver des emplois et faire des investissements stratégiques, mais qui s’est tournée vers le foncier, en achetant des terrains agricoles à prix d’or, ou en finançant les petits copains et petites copines. On a un gouvernement qui sait tout, qui n’en fait uniquement qu’à sa tête, et qui fait preuve d’opacité en ne répondant pas aux questions parlementaires. Si au lieu de réduire la dette pour montrer que vous êtes un bon payeur, et que vous prenez plus d’argent pour financer des projets comme Côte d’Or ou Metro Express, on peut se poser des questions…
Une autre carence de l’économie mauricienne est la dépréciation de la roupie. Votre avis?
Il faut que les consommateurs réalisent qu’on ne peut jeter tout blâme sur la guerre en Ukraine pour expliquer la hausse généralisée des prix alors que c’est en grande partie en raison de la dépréciation de la roupie. La monnaie locale a perdu 40% de sa valeur depuis 2014. Avec la politique délibérée du gouvernement de dépouiller la Banque Centrale de Rs 148 milliards, la BoM n’a plus les moyens de défendre la roupie. D’ailleurs, il n’y a plus de banque centrale, cette dernière est devenue un département du ministère des Finances, victime d’une politisation à outrance. S’il y avait une banque centrale, pensez-vous que la SBM aurait pu octroyer des prêts non-productifs de Rs 12 milliards sans sanction? Dans n’importe quel pays dans le monde, quand une banque fait fi des guidelines bancaires, elle est sanctionnée.
Le centre financier mauricien n’est plus ‘blacklisted’ nulle part. Le pire est-il derrière nous?
Je pense qu’on a la chance au sein de notre secteur financier d’avoir d’excellents professionnels, au sein du secteur privé. Même si nous ne sommes plus sur la liste grise du GAFI, la situation reste difficile. Le mal a déjà été fait. Par exemple, les investisseurs qui se tournent vers l’Inde, préfèrent passer par Singapour plutôt que Maurice. Le gouvernement n’a, malheureusement, pas une politique de marketing pour valoriser le secteur financier. Ils ont ‘scrapped’ la Financial Services Promotion Agency (FSPA). Résultat ; nous n’avons plus d’agence dédiée à la promotion de la juridiction. Est-ce que le pire est derrière nous? Tout dépendra de la motivation du gouvernement de promouvoir le centre financier. Tout comme le gouvernement dépense des centaines de millions de roupies pour promouvoir Maurice en tant que destination touristique, le centre financier devrait jouir de la même attention.
Un mot de la fin?
Je suis très inquiète pour les jeunes de ce pays. Les statistiques montrent que les jeunes qui cherchent un emploi sont de plus en plus nombreux, dont notamment des gradués. J’espère de tout cœur que cela n’occasionnera pas davantage de ‘brain drain’ dans le pays.