Thierry Hebraud, qui est Head of Corporate and Institutional Banking (CIB) de la MCB évoque, dans l’entretien qui suit, les ambitions africaines du groupe bancaire. Ce dernier revient aussi sur les grandes tendances qui animent le continent.
Publié dans Investor’s Mag, 22e édition, Oct 22 – Dec 22
Le manque d’infrastructures et leur financement constituent l’un des principaux, sinon le plus grand défi au développement de l’Afrique. Comment la MCB peut-elle jouer un rôle pour combler ces lacunes?
La majeure partie de l’Afrique accuse, effectivement, un retard en matière d’infrastructures, notamment, s’agissant des besoins énergétiques, du transport routier et ferroviaire et des infrastructures en eau. La Banque africaine de développement estime, d’ailleurs, que les besoins de financement d’infrastructures du continent atteindront USD 170 milliards annuellement d’ici 2025, avec un déficit de financement de l’ordre de USD 100 milliards par an.
Les secteurs de l’énergie, des infrastructures du traitement des eaux et des transports nécessiteront les investissements les plus importants (de USD 25 à 50 milliards, USD 56 à 66 milliards et USD 35 à 47 milliards respectivement) afin d’atteindre un taux d’électrification urbain et d’accès à l’eau potable de 100% d’ici 2025.
Le secteur qui a des besoins de plusieurs dizaines de milliards de dollars d’investissements publics d’ici à 2030 est celui de la santé, afin de combler ses retards. On estime, en effet, que la pandémie de la Covid-19 a creusé le déficit de financement des infrastructures dont les pays africains ont besoin.
Les grandes institutions financières multilatérales, telles que la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement ou encore les agences de crédit à l’exportation jouent déjà un rôle prépondérant dans le financement de projets de grande envergure en Afrique en octroyant des prêts directs, des couvertures d’assurance ou encore des garanties. Ces institutions demeurent d’importants bailleurs de fonds pour les projets d’infrastructures en Afrique.
Le secteur bancaire privé, à l’instar de la MCB, joue également un rôle essentiel dans ce type de financements en accompagnant les tours de tables soit dans le cadre de PPP ou en prêts commerciaux complémentaires.
“je peux citer le soutien apporté au Sénégal dans ses efforts d’électrification du pays et aussi la contribution apportée à l’industrialisation du Nigéria…”
Thierry Hebraud | Head of CIB | MCB
C’est ainsi que depuis plusieurs années déjà, nous contribuons au financement du développement des infrastructures en Afrique et favorisons la croissance du continent, et ce, en nous concentrant sur des secteurs dans lesquels nous nous sommes forgés une solide expertise. Parmi : le financement des infrastructures de production d’énergie, avec un accent de plus en plus marqué sur les énergies renouvelables ou encore la transition énergétique vers des combustibles plus respectueux du climat. Également, les financements d’infrastructures supportant l’extraction des matières premières, dont regorge l’Afrique.
Je dois dire que nous sommes fiers d’être une institution africaine résolument engagée dans le support au développement du continent ! Nous contribuons à apporter des solutions financières sur mesure qui participent à la réalisation de projets accélérant l’investissement productif, facilitant les échanges commerciaux intra africains et stimulant les progrès sociaux et environnementaux des pays sur lesquels nous intervenons.
Ces activités nous ont permis de développer des partenariats actifs avec les banques africaines et internationales actives sur le continent. C’est pour nous un axe essentiel de notre stratégie.
Enfin, à titre d’exemple, je peux citer le soutien apporté au Sénégal dans ses efforts d’électrification du pays et aussi la contribution apportée à l’industrialisation du Nigéria grâce à notre participation au financement d’un projet de raffinerie essentiel pour le pays dans la zone orientale du bassin du delta du Niger.
Il y a eu des changements significatifs dans le paysage bancaire dans de nombreux pays africains ces dernières années. Quel est votre opinion sur cette nouvelle donne?
Au cours des dernières années, nous avons observé deux transformations fondamentales du secteur bancaire africain. En premier lieu, le désengagement de grandes banques occidentales/internationales qui se sont recentrées sur leurs marchés traditionnels. Puis, en parallèle, le renforcement de banques régionales, dont la MCB, qui ont consolidé leurs positions sur divers pays du continent.
Je voudrais souligner que le retrait de ces grandes banques internationales n’est certainement pas imputable à une baisse d’activités économiques en Afrique, mais plutôt à leur frilosité à prendre des risques sur le continent qu’elles maîtrisent mal.
En effet le développement rapide des infrastructures dont nous venons de parler mais aussi, du commerce, de la gestion du patrimoine, des nouvelles technologies etc. confirme, s’il en était besoin, que l‘Africa Rising demeure plus que jamais une réalité!
Le potentiel de croissance des activités bancaires en Afrique est indéniable. Je peux citer un chiffre de l’Africa Digital Financial Inclusion (ADFI) : il est estimé qu’à l’horizon 2030, environ 330 millions d’Africains supplémentaires seront inclus dans le système financier.
Il appartiendra donc aux banques régionales, clairement axées sur l’Afrique, à l’instar de la MCB, de se préparer à répondre aux besoins de financement, de solutions de paiement et d’investissement et de contribuer à réduire l’écart entre les actifs et la richesse.
Les banques régionales auront, de par leur proximité avec le continent, un rôle important à jouer pour soutenir la croissance des entreprises africaines.
L’Afrique reste, plus que jamais, notre marché prioritaire et nous avons acquis, au fil des ans, un savoir-faire et une notoriété appréciés des institutions financières africaines grâce à notre initiative ‘Bank of Banks’. De par la panoplie de nos offres, nous sommes aujourd’hui un partenaire privilégié pour permettre aux institutions financières africaines de mieux servir leurs clients et les aider dans leur développement.
Dans le même temps, nous développons progressivement notre réseau de banques partenaires à travers le continent pour mieux servir et soutenir nos clients sur les marchés africains. La MCB se place ainsi comme une institution financière intégrée sur laquelle ces banques peuvent compter pour l’expansion régionale de leurs clients et pour explorer les possibilités qu’offre le centre financier mauricien.
En plaçant clients et partenaires au centre de nos activités quotidiennes, nous voulons approfondir notre réseau et développer des partenariats solides avec des banques africaines.
“L’African Continental Free Trade Area (AfCFTA) est l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde…”
Thierry Hebraud | Head of CIB | MCB
Selon votre expérience, quelles sont les principales tendances qui influencent sur les marchés africains?
Il existe de grandes tendances sur lesquelles le continent pourrait capitaliser sur le moyen et le long terme. Nous parlons ici d’une urbanisation rapide, d’une population jeune et de plus en plus sensible aux questions de développement durable et de la hausse des dépenses de consommation de la classe moyenne dans le sillage d’une digitalisation accrue.
Le Pan-African Payment and Settlement System (PAPSS) démontre bien comment la digitalisation aide à abolir les frontières entre pays. Comme ce fut le cas dans les années 2010 avec les services bancaires mobiles, l’Open banking permettra l’accès aux services financiers à des millions de personnes à travers le continent. Les banques devraient se saisir de ces nouvelles opportunités et s’associer à des entreprises de la fintech, afin de gagner en efficacité et répondre aux besoins croissants de connectivité.
S’agissant du développement durable, la demande en énergies renouvelables en Afrique est palpable. Les pays africains joueront un rôle important dans la transition énergétique globale tant en matière de projets orientés ESG (principalement PPP), que dans l’approvisionnement et le commerce des métaux et du gaz.
Les questions de gestion des risques et de conformité seront aussi cruciales à l’avenir. Le continent se développant, il sera de plus en plus exposé à de nouveaux risques, comme ceux liés à la cyber sécurité ou les risques climatiques qui sont déjà une réalité pour le continent.
In fine, il s’agira avant tout pour l’Afrique de relever le défi de la connectivité. En terme de digitalisation, bien sûr. Mais aussi en améliorant la liaison entre les différents hubs financiers africains et en développant des ‘business corridors’ reliant les pays africains au reste du monde.
Les banques auront également un rôle central à jouer pour enrichir leurs offres et accompagner les pays africains vers une meilleure connectivité.
En quoi l’Afcfta est-elle une opportunité pour le secteur bancaire ?
L’African Continental Free Trade Area (AfCFTA) est l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde en termes de nombre de pays participants, depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce. Les 55 pays de l’Union africaine en sont tous signataires, à l’exception de l’Érythrée. Sa première phase, qui est entrée en vigueur en janvier 2021, éliminera progressivement les droits de douane sur 90 % des marchandises et réduira les obstacles au commerce des services. La Banque mondiale, dans un récent rapport, a d’ailleurs fait ressortir que sa mise en application intégrale pourrait faire augmenter les revenus régionaux de 9 %, soit à USD 571 milliards et aussi créer 18 millions d’emplois supplémentaires.
L’AfCFTA représente une opportunité unique pour les banques. Ces dernières étant des acteurs clés dans le mouvement des financements entre les business africains. L’ouverture de nouveaux marchés et l’assouplissement des transactions transfrontalières, envisagés dans le cadre de l’AfCFTA, devraient aussi augmenter le flux des capitaux et promouvoir les investissements directs étrangers et les investissements intracontinentaux en Afrique.
S’agissant de Maurice, les opportunités sont aussi indéniables, en particulier pour notre centre financier. Les investisseurs et les entreprises peuvent ainsi profiter d’un écosystème qui, non seulement, facilite les affaires avec les pays africains, mais aussi améliore et protège leurs investissements. Maurice peut, en effet, devenir une plateforme pour attirer, gérer, structurer et canaliser le commerce et les investissements vers le continent au sein du corridor Asie-Afrique.
Pour ce faire, les investisseurs étrangers doivent pouvoir compter sur des solutions commerciales et financières fiables et efficaces. La MCB, en tant que première institution bancaire de Maurice, a un rôle crucial à jouer pour soutenir le positionnement du pays en tant que centre financier tourné vers l’Afrique. C’est ainsi que nous nous renforçons continuellement afin d’offrir des produits et des services adaptés aux besoins des entreprises internationales spécifiques (les family offices, les sièges régionaux des multinationales ou encore les fonds de capital-investissement). Nous voulons les aider à répondre à leurs besoins transactionnels ainsi qu’à leurs impératifs stratégiques. Nous pouvons ainsi soutenir le développement d’offres adaptées pour notre juridiction dans des marchés niches à fort potentiel, comme celui de la finance durable.