Nicolas Goldstein, co-fondateur de Talenteum revient, dans l’entretien qui suit, sur les nouvelles tendances du marché du travail qui a connu bien des mutations avec la pandémie de la Covid-19. Il tire aussi la sonnette d’alarme sur un manque de plus en plus criant de talents à Maurice, dans des secteurs spécifiques.
Publié dans Investor’s Mag, 21e édition, 22 Juin – 22 Août
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à implanter Talenteum à Maurice?
Nous avons été, avec mon associé John Benatouil, l’actuel Président de la CCIFM, parmi les pionniers du secteur du BPO à Maurice, et ce dès 2004. J’ai vu Ebène se construire en 2004 et j’ai décidé de venir m’implanter, moi et ma famille, à Maurice en 2015 et c’est alors que nous avons créé Talenteum.com. Maurice dispose de nombreux atouts pour bien appréhender l’évolution des nouvelles façons de travailler. En tant que pays régulièrement classé parmi les économies les plus stables d’Afrique, il représente une destination privilégiée pour des entrepreneurs et des talents prêts à travailler à distance avec le reste du monde. Fortement interconnecté technologiquement avec les différents continents, Maurice dispose d’un ingrédient déterminant pour permettre aux différents acteurs de son économie de réduire les distances et d’échanger la voix et la data de façon fiable et à haut débit avec les autres acteurs du reste du monde ; employeurs, fournisseurs ou clients. Enfin, étant Pan Africain, Maurice est un bon Hub pour s’ouvrir sur l’Afrique.
Comment la Covid-19 a-t-elle changé le visage de l’emploi dans le monde?
La pandémie a réinventé le travail et l’entreprise. Le passage au télétravail est une mesure nouvelle pour certaines entreprises mais parfois signe de pérennité des opérations. Il s’agit d’un défi de taille pour les entreprises qui n’ont jamais travaillé de cette façon auparavant. Elles doivent rapidement se réorganiser ou créer de nouveaux systèmes afin de faire du télétravail au quotidien.
Chez Talenteum.com, en tant que leader du travail à distance dans la région Afrique, nous avons constaté que ce virage a été compliqué. Si vous ne disposez pas de la bonne logistique et d’un management à distance, cela peut être difficile.
La pandémie a rendu plus complexe l’attraction des talents, à tel point que le sujet est devenu aujourd’hui un enjeu global : ‘sourcer’ et recruter les talents est devenu plus difficile et ceci est particulièrement vrai pour les recrutements de collaborateurs qualifiés. A cela s’ajoute un nouveau phénomène d’ampleur né aux Etats-Unis à la suite de la pandémie, celui de vagues de démissions importantes depuis le début de la crise sanitaire (38 millions en 2021). Ce mouvement nommé « Grande Démission » (Great Resignation) prend désormais de l’ampleur en Europe et en France.
“La pandémie a rendu plus complexe l’attraction des talents, à tel point que le sujet est devenu aujourd’hui un enjeu global…”
Nicolas Goldstein | Co-Fondateur | Talenteum
Quelle est la situation du bassin de l’emploi à Maurice ?
En ce qui concerne Maurice, le marché de l’emploi est en surchauffe. Le secteur le plus porteur, celui-ci des nouvelles technologies et du services aux entreprises est très tendu avec un manque de ressources mauriciennes.
Il est très difficile de trouver des ingénieurs sans désormais s’ouvrir à faire venir des expats africains. Nous voyons également un manque de ressource en tant que chargé de recrutement, signe révélateur d’un manque de ressource sur le marché.
Sur le marché de l’hôtellerie, de la restauration et du bâtiment, il y a également des soucis de recrutement depuis la réouverture des frontières.
Il faut des actions du gouvernement pour faire venir des ressources à Maurice, les attirer et les fidéliser et former davantage la population aux métiers ‘pénurie’ du moment.
Qu’en est-il du continent africain?
L’Afrique surprend positivement par sa richesse et sa grandeur. Celles-ci s’expriment notamment à travers sa démographie, qui semble modeler les tendances prévues selon sa propre personnalité.
Prenons le rapport signé S&P Global Ratings publié début août 2021 qui explique que: « la population en âge de travailler de l’Afrique subsaharienne (ASS) va augmenter de plus de 200 % d’ici 2050 ». Cet élan est d’ailleurs qualifié de « plus grande transition démographique jamais expérimentée dans l’histoire de l’humanité ».
Une description parfaitement à propos lorsqu’on sait que l’Afrique devrait passer de 1 milliard d’habitants à près de 2,4 milliards d’ici le tournant du siècle, cela malgré une baisse de fécondité, mais qui est plus lente qu’ailleurs. D’ici 2050, l’Afrique subsaharienne devrait compter plus du double de sa population actuelle en âge de travailler, soit, dans les chiffres, près de 70 % de la croissance mondiale totale. En conséquence, les autorités des différents pays africains doivent d’ores et déjà prendre les décisions appropriées afin de préparer le terrain économique.
Celui-ci devra être suffisamment solide, tangible, clair et organisé afin de créer et fournir suffisamment d’emplois pour ses 1,5 milliard d’habitants supplémentaires, dont la moitié sera âgée de moins de 25 ans.
Quels sont les métiers les plus demandés actuellement?
Certes, les nouveaux métiers à venir ne disposent pas encore de la quantité appropriée de profils pour satisfaire les besoins de toutes les entreprises. Toutefois, ces dernières disposent de nombreuses possibilités pour, non seulement préparer le terrain, mais aussi gagner en compétences, parmi elles, il y a le travail à distance.
Quels sont les métiers dont les entreprises ont besoin à l’heure actuelle et disponibles en travail à distance ?
Nous en recensons environ 10 :
- Community Manager
- Business Developer
- Chargé de recrutement
- Développeur logiciels et web
- Analyste et Administrateur de bases de données
- Financial / Business Analyst
- Architecte technique des systèmes d’information
- Cyber Security Ingénieur
- Chef de projet
- Enseignant
Le travail à distance fait donc, résolument, partie des nouvelles pratiques à intégrer à une stratégie d’entreprise moderne. Si jusqu’à récemment il était de coutume de creuser dans un bassin de l’emploi national, aujourd’hui, il est de plus en plus tari. A tel point qu’on n’hésite plus à traverser la planète pour piocher dans des viviers de jeunes africains ou Sud-Américains motivés, ambitieux, mais surtout disposant de compétences de moins en moins présentes localement, mais essentielles. Le travail à distance est devenu le « new normal ». Au fil du temps, de plus en plus d’entreprises n’hésitent plus à se défaire de l’embauche traditionnelle au profit du travail à distance. En effet, il n’est désormais plus nécessaire d’attendre qu’un profil local soit formé ou disponible pour le recruter, puisque les talents sont d’ores et déjà prêts à l’emploi, ailleurs.