« Save food to empower people ». C’est un peu le motto de l’entreprise sociale FoodWise Mauritius créée par Rebecca Espitalier-Noël il y a quelques années. Sa vision : lutter contre le gaspillage alimentaire et venir en aide aux nécessiteux tout en contribuant au développement durable du pays. Un pari réussi jusqu’ici pour FoodWise Mauritius qui a sauvé près de Rs 85 millions de valeurs de produits et qui continue d’éduquer et de conscientiser les Mauriciens. Rebecca Espitalier-Noël fait le point sur la mission de FoodWise Mauritius et nous parle des projets à venir.
Publié dans Investor’s Mag, 21e édition, 22 Juin – 22 Août
FoodWise est au centre de l’actualité grâce à toutes les actions entreprises ces derniers temps. Pouvez-vous nous expliquer sa mission?
FoodWise a pour mission de « save food to empower people » ! Nous croyons fermement que la nourriture est un moyen très puissant pour permettre l’intégration sociale. Que ce soit par le lien social qu’elle permet de créer ou par le support physique, financier et émotionnel qu’elle apporte. La nourriture permet également à des populations vulnérables d’avoir un tremplin pour se relever et grandir.
Qu’est-ce qui a motivé la création de cette entreprise sociale? Et pourquoi le gaspillage alimentaire en particulier?
La motivation de la création de FoodWise est simple. Quand une ressource aussi précieuse que la nourriture est jetée alors qu’elle est encore bonne, c’est comme de l’or que l’on jette. On sait bien que personne ne jetterait de l’or alors pourquoi jeter de la nourriture ?
Et c’est pourtant ce qui se passe sur notre île… Aussi aberrant que cela puisse paraître, le gaspillage alimentaire est la première source de déchets à Maurice, et ce, devant le plastique ou le papier. Incroyable, quand nous savons que nous importons plus de 70 % des denrées que nous produisons, ce qui nous rend non seulement très vulnérables au niveau de notre sécurité alimentaire, mais rend aussi l’impact environnemental du gaspillage énorme.
Lutter contre le gaspillage alimentaire est un moyen simple et non coûteux d’avoir accès à de la nourriture peu chère et délicieuse, mais aussi d’avoir un impact positif sur l’environnement.
Quel est l’impact du gaspillage alimentaire sur le développement durable d’un pays?
Maurice doit développer son économie circulaire et son autonomie alimentaire. Aujourd’hui, les importations représentent des circuits très longs qui créent énormément de gaspillage et sont très coûteux pour l’environnement et notre porte-monnaie. Quand un client laisse tomber une boîte de conserve de tomates, qu’elle se cabosse et qu’elle est ensuite jetée, c’est non seulement la terre ou l’eau utilisée pour la produire qui est jetée, mais aussi l’électricité pour la mettre en packaging, la transporter en bateau ou en camion. Vous imaginez bien l’impact que cela a…
Avant la venue de FoodWise, quelle était la situation à Maurice par rapport au gaspillage alimentaire?
Il y avait très, très peu qui était fait… Je pense que c’était une honte pour certaines entreprises d’avoir du gaspillage et du coup c’était caché, et mis dans des tiroirs pour être oublié. Il y avait aussi beaucoup de peur quant aux risques liés aux potentielles solutions comme la redistribution alimentaire.
Et aujourd’hui, depuis que FoodWise existe, qu’en est-il?
Nous avons encore un long chemin à parcourir, mais nous sentons quand même que les consciences se réveillent et que le sujet prend de l’impact dans notre pays. Le gaspillage alimentaire représente un potentiel énorme au niveau économique. Si on laisse de côté l’aspect social ou environnemental et qu’on parle seulement d’argent, ce sont des milliards de roupies qui sont laissés à l’abandon.
Aujourd’hui, il existe diverses possibilités pour une économie circulaire comme la redistribution, la transformation de produits en fin de vie, la création de nourriture animale, la production de gaz, le compost, etc.
Est-ce que vous avez des chiffres pour 2021, ou 2022, sur le nombre de produits récupérés et l’équivalent en roupie?
Depuis la création de FoodWise fin 2018, ce sont environ Rs 85 millions de valeur de produits qui ont été sauvés…
”Il existe diverses possibilités pour une économie circulaire comme la redistribution…”
Rebecca Espitalier-Noël | Managing Director | FoodWise Mauritius
Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne cet accord entre FoodWise et une entreprise? Qu’est-ce que cela implique ? Quels sont les mesures prises ou les engagements pris?
Le fonctionnement est simple, gratuit, transparent et sécurisé. L’entreprise identifie des produits à donner pour des raisons multiples : packaging abîmé, date d’expiration proche, problème de qualité comme trop de fraises dans le yaourt, échantillon de test en surplus, etc. Dans tous les cas, les produits sont encore parfaits pour la consommation humaine, mais ils ne sont plus commercialisables. Une fois les produits identifiés, l’entreprise contacte FoodWise via mail, téléphone, réseaux sociaux ou notre site web. Nous organisons ensuite, sous 24 h, la collection des produits avec notre camion. Si les produits n’ont pas été triés, nous les trions avant de les redistribuer à une ONG. L’entreprise peut aussi nous proposer différentes ONG à qui elle souhaite donner. Si elle n’a pas de préférence, FoodWise identifiera elle-même les organisations non gouvernementales ayant besoin de ces produits. À noter que l’ONG signe un ‘disclaimer’ et a été formée par l’équipe de FoodWise.
Notre but est que l’entreprise ait un seul point de contact, qu’elle ait l’assurance que les produits seront redistribués aux plus nécessiteux et que leur image de marque soit protégée.
Chaque mois l’entreprise reçoit un rapport détaillé avec l’impact de son choix responsable. Des formations sont aussi réalisées avec les équipes de l’entreprise afin d’optimiser le processus de donation afin qu’il soit simple et rapide. Si l’entreprise souhaite donner des produits sur une base régulière, nous montons ensemble un projet afin de systématiser le processus de donation.
Que fait-on des produits récupérés?
Les produits récupérés sont directement déposés à une ou plusieurs associations. Certaines associations comme des écoles transforment les produits en repas et les redistribuent en interne. D’autres associations organisent des programmes avec des familles vulnérables à qui les produits sont ensuite redistribués pour leur consommation personnelle. Un nombre restreint et précis de produits est donné à chaque famille en fonction de comment son foyer est équipé, de sa situation économique et du nombre de personnes dans la famille.
Vous êtes-vous fixé des objectifs à court, moyen et long terme?
Belle question ! À court terme, nous souhaitons réaliser 3 choses. La première est de changer la loi sur les dates de consommation et de permettre que les produits qui ont dépassé leur date de durabilité minimale (best before) soient donnés. La deuxième est de s’assurer que tous les produits vendus dans les supermarchés ne soient pas retournés à leurs fournisseurs et jetés, mais donnés directement. La troisième est de travailler avec tous les distributeurs alimentaires.
À moyen terme, nous souhaitons faire changer et mettre en place d’autres lois pour faciliter la lutte contre le gaspillage alimentaire comme mettre en place une « Liability Protection Law and Policy » pour les entreprises donatrices.
Nous souhaitons aussi développer un label anti-gaspillage et diversifier notre manière de lutter contre le gaspillage alimentaire pour arriver à long terme à zéro déchet alimentaire à la décharge.
Avez-vous des projets à venir pour étendre l’impact de FoodWise?
Collaborer avec l’État est bien sûr toujours très important pour nous. FoodWise travaille main dans la main avec les représentants du pouvoir afin de changer, par exemple, des « Food Regulations » pour permettre aux produits qui ont dépassé leur « best before date » d’être donnés. Ce changement de loi ouvrira énormément d’opportunités d’innovation…
Comme nous l’avons fait avec la redistribution alimentaire, nous œuvrons afin d’amener d’autres solutions innovantes qui permettront aux Mauriciens d’avoir accès à de la nourriture de qualité à pas cher.