Eric Adam, Managing Director de Sofap évoque, dans l’entretien qui suit des challenges liés au développement durable pour son entreprise. Ce dernier évoque les initiatives prises par Sofap en faveur de la protection de l’environnement, mais aussi de l’impact de la pandémie de la Covid-19.
Publié dans Investor’s Mag, 21e édition, 22 Juin – 22 Août
Comment la pandémie et la guerre en Ukraine affectent-elles les opérations de Sofap? Quels sont les impacts sur la demande?
Le premier impact de la pandémie a été les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement pour les matières premières. Il y a eu d’une part des problèmes au niveau de la disponibilité de certaines matières premières mais aussi de l’acheminement des matières premières. Pour une commande qui prenait (pre-Covid-19) un mois à nous parvenir, cela prend en moyenne aujourd’hui trois à quatre mois ou voir plus dans certains cas. Les confinements de 2020 et 2021 ont également impactés lourdement l’entreprise car on ne pouvait opérer normalement.
Le conflit en Ukraine vient maintenant exacerber les choses et nous n’avons pas de visibilité sur un éventuel retour à la normale.
Au niveau de la demande, après les deux confinements respectifs, il y a eu une reprise dans le secteur de la construction. Il y a eu un rebond assez important de la demande pour les matériaux de construction car il y avait des projets qui étaient déjà sortis de terre pré-covid est qui ont redémarrés en force.
Pour ce qui est de la demande au niveau des particuliers, bien que nous n’ayons pas été trop impactés au début, nous commençons maintenant à sentir une contraction dans la demande pour les peintures. Comme les budgets des ménages sont sous pression avec la hausse du coût de la vie, les consommateurs donnent priorité aux choses plus essentielles comme la nourriture, l’éducation des enfants, etc. Les dépenses de rénovation auront tendance à être repoussées dans le temps. Nous anticipons une contraction accrue du marché dans les mois à venir.
Si on regarde le dernier indice des prix à la construction, on note une hausse considérable du prix de la peinture…
Pas vraiment considérable ! Nous avons augmenté nos prix de 5% en juillet 2021, et de 10% en janvier 2022. Ces hausses n’ont pas été suffisantes pour absorber le surcoût associé à l’importation des matières premières. L’effet combiné de la hausse des prix de matières premières, du fret maritime, et de la dépréciation de la roupie, a occasionné un surcoût de 20 à 25% sur les intrants de production, sachant que le prix de certaines matières premières ont même augmentée par plus de 50%.
Les augmentations de prix de vente que nous avons appliquées sont donc déjà obsolètes, mais dans ce contexte économique extrêmement difficile, nous acceptons d’absorber une partie du fardeau de la hausse des coûts et ne pas tout passer aux consommateurs.
Sofap s’est fixé comme objectif d’atteindre l’objectif de « zero-waste » en 2023. Où en êtes-vous à ce sujet? Comment Sofap s’adapte-t-elle aux exigences de durabilité?
Nous avons bien progressé par rapport à notre objectif de devenir une entreprise Zero-Waste en 2023. Nous avons engagé des actions sur différents axes pour, d’une part réduire la génération de déchets, et d’autre part trouver une solution pour recycler tout ce qu’on ne peut éliminer. A ce stade nous avons réduit de 76 % le volume de déchets solides destinés au centre d’enfouissement et de 30% le volume d’effluents industriels. Il est bon de noter que ces mêmes effluents sont traités sur notre site selon la réglementation en vigueur.
Certains de nos déchets solides, comme des palettes en bois, des bidons usés, des sacs en polypropylène, sont récupérés par des recycleurs avec qui nous collaborons. Ils récupèrent ces déchets et les transforment en d’autres objets utiles. Dans cette démarche, nous avons créé notre Sofap EcoHub, un espace dédié aux recycleurs. Cet espace qui se situe au premier étage du centre commercial SoFlo a Floréal est mis gratuitement à la disposition d’une trentaine de recycleurs avec lesquels nous collaborons afin qu’ils puissent venir exposer et vendre leurs produits.
Quels sont les challenges rencontrés pour atteindre les SDGs?
Les challenges sont multiples mais par rapport au SDG 12 (Responsible consumption and Production) qui est prioritaire pour nous, la question des déchets reste un défi important car les filières de recyclage ne sont, pour l’instant, pas encore bien structurées et organisées à Maurice. C’est le principal obstacle. Par exemple, nous souhaitons récupérer les bidons de peinture usés à travers l’île afin de les recycler et favoriser ainsi une économie circulaire. Nous testons actuellement le concept avec un projet pilote et collaborons avec notre fournisseur de bidons de peinture qui s’est engagé dans un projet de recyclage de matière plastique. Les autorités et le secteur privé doivent collaborer afin de mettre en place des filières de recyclage performantes. Nous avons eu des rencontres avec le ministère de l’Environnement et sommes prêts à collaborer pour contribuer à cet effort.
Est-ce qu’une entreprise de peinture peut être totalement durable tout en conservant sa valeur pour ses actionnaires?
Absolument. Tout d’abord il y a un concept important qu’il faut intégrer dans les entreprises d’aujourd’hui. Il faut qu’il y ait un juste équilibre entre la performance financière, environnementale et sociale d’une entreprise. Si on reste uniquement axé sur la performance financière et qu’on ne porte pas suffisamment attention à l’environnement et le social on est appelé à s’exclure du marché petit à petit et à devenir obsolète. Pour qu’une entreprise soit un succès aujourd’hui, il faut trouver la bonne balance entre “People, Planet and Profit”. Cette philosophie est dans l’ADN de notre entreprise ainsi que du groupe Taylor Smith au sein duquel nous évoluons.
Oui, cela a un coût financier, mais il y a des bénéfices environnementaux et sociaux qui en découlent. Si on prend le Sofap Eco-Hub comme exemple, il y a des bénéfices environnementaux car on est en train de ‘divert’ les déchets du centre d’enfouissement de Mare-Chicose pour les transformer et créer une prise de conscience en faveur de la protection de l’environnement. D’autre part, le Sofap Eco-Hub vient aider de petits entrepreneurs à promouvoir leurs produits et avoir un « sustainable business ».
Il y a aussi des attentes du marché par rapport à l’engagement des entreprises pour le développement durable. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles à cette question. Les gens, et plus particulièrement les plus jeunes, sont plus susceptibles de consommer un produit qui est proposé par une entreprise qui est engagée et qui apporte sa contribution à la protection de l’environnement et au bien-être social de manière authentique et tangible.
Quelles sont les perspectives de croissance pour Sofap. Mis à part Maurice, visez-vous d’autres marchés?
Notre entreprise est principalement orientée vers le marché intérieur. Nous fabriquons majoritairement pour le marché local, mais avons l’ambition de développer davantage notre activité export. Le marché mauricien reste un petit marché. Il y a certes une croissance organique mais les perspectives de croissance ne sont pas aussi importantes vu la taille limitée du marché local.
Nous exportons déjà certains de nos produits décoratifs « up-market », plus particulièrement ceux de la gamme d’enduits décoratifs de notre marque TRIBE. C’est une marque d’enduits texturés que nous exportons déjà vers les Pays-Bas. Nous prospectons également en ce moment d’autres clients en Europe. Nous avons l’ambition de développer notre activité Export en opérant dans des marchés niches. Actuellement, moins de 5% de notre chiffre d’affaires provient de l’exportation, mais nous espérons l’augmenter à 10%, voir 15% dans un avenir pas très lointain.
Qu’en est-il du continent africain?
En ce qu’il s’agit des peintures, pour être présent en Afrique, on peut difficilement le faire en exportant de Maurice. Il faut pouvoir s’y installer et produire sur place. Les marchés en Afrique sont demandeur de produits d’entrée de gamme et donc plus « price-sensitive ». Il faut donc pouvoir produire sur place pour être compétitif. Nous avons prospecté certains pays d’Afrique avant le Covid-19, mais avec la pandémie nous avons eu à prendre du recul. C’est quelque chose que nous allons certainement revisiter.
Comment les autorités peuvent-elles aider à dynamiser davantage le secteur manufacturier mauricien?
Le secteur manufacturier reste un secteur très stratégique pour Maurice et on sous-estime parfois son importance. D’abord c’est un pourvoyeur d’emplois important puisque le secteur manufacturier compte environ 55,000 emplois direct et fait vivre aussi de nombreuses PME qui fournissent des produits et services à l’industrie. C’est également un moyen de substituer l’importation car, à Maurice, 80% de ce qu’on consomme est importé d’où un exode important de devise. Il y a donc de bonnes raisons d’encourager la production locale.
Les autorités pourraient venir de l’avant avec des incitations fiscales ou autres afin d’encourager l’investissement dans le secteur manufacturier. Malheureusement aujourd’hui, le secteur manufacturier n’est pas perçu comme particulièrement attrayant pour l’investisseur.
Il est nécessaire de développer de nouveaux pôles manufacturiers, notamment pour les produits techniques à haute valeur ajoutée. Il y a quelques entreprises qui existent déjà, comme celle qui fabrique des dispositifs médicaux. Il nous faut pouvoir attirer davantage d’entreprise de ce genre en créant un cadre favorable pour les investisseurs potentiels.