Le Board of Good est une plateforme qui permet de réunir un maximum de femmes dirigeantes et candidates potentielles pour siéger aux conseils d’administration d’entreprises et d’organisations ! Un moyen de faciliter la tâche des conseils d’administration qui souhaitent se tourner vers la diversité et l’inclusion. Derrière ce projet bénévole, l’on retrouve la fondatrice Natacha Émilien, qui est aussi Chief Transformation, Support Services Officer et Executive Director de Eagle Insurance. Motivée et engagée pour faire avancer la femme dans des postes de direction et dans des rôles décisionnaires, elle se confie à Investor’s Mag sur le manque de représentation féminine sur les « boards » et l’importance de la visibilité pour l’émancipation des femmes dirigeantes.
Publié dans Investor’s Mag, 20e édition, 22 mars – 22 June
Vous avez lancé récemment la plateforme Board of Good. Qu’est-ce qui a motivé sa création?
J’ai souvent déploré le manque de femmes au sein des postes de direction et siégeant aux conseils d’administration des entreprises et organisations. Je suis pas une ultra-féministe, mais je crois surtout que le manque d’équilibre dans le monde affecte le bon déroulement des choses. Je le répète souvent, mais je pense qu’une vie équilibrée est une vie saine, tout comme je crois qu’une organisation équilibrée a une harmonie entre sa finalité commerciale, son environnement et la société au sens large. Elle devient donc plus pérenne.
Les femmes représentent aujourd’hui 51 % de la population. Une organisation équilibrée devrait donc, de manière rationnelle, inclure plus ou moins la même quantité d’hommes que de femmes dans son leadership et sur son conseil d’administration. Cela fait des années que j’aborde ce sujet autour de moi, et les retours obtenus pointent du doigt la difficulté des conseils d’administration à trouver des femmes dirigeantes pour les rejoindre. Pourtant, je connaissais beaucoup de femmes brillantes, inspirantes, motivées, et capables de faire avancer les choses. Je me suis alors dit « mais pourquoi ces conseils d’administration ne voient pas ces femmes comme des potentielles directrices, comme moi je les vois ? ». J’ai ressassé cette question pendant plusieurs années.
Puis, fin juin, j’ai pris quelques jours de congé, et, toute seule chez moi (mes enfants passaient quelques jours chez leurs grands-parents) je me suis dit que j’allais démarrer un registre qui recenserait et donnerait de la visibilité à toutes ces femmes de calibre. J’allais ensuite le diffuser largement à tous les CEOs et directeurs que je connaissais, pour qu’ils puissent prendre connaissance de l’existence de ces femmes, mais surtout de leur volonté de faire partie des conseils d’administration de ce pays. Cette initiative avait démarré sur un coup de tête pour essayer de faire bouger les choses en tant que citoyenne, et j’ai été vraiment agréablement étonnée de l’engouement généré par le Board of Good (nous sommes à presque 250 inscrites aujourd’hui) et c’est un très bon signe !
Vous êtes-vous fixé un objectif à court, moyen et long terme?
En ce moment le Board of Good récolte les inscriptions des femmes dirigeantes au Registre pour leur donner de la visibilité en tant que candidates sur des postes au sein des conseils d’administration. Nous nous attendons à avoir un nombre encore plus conséquent. Nous avons déjà commencé à contacter les organisations pour les informer de l’existence de ce Registre, qui leur sera disponible gratuitement et sur simple demande. Nous avons aussi, entre temps, commencé à répondre aux demandes de certaines organisations qui ont entendu parler du Board of Good et qui recherchent des candidats d’un certain profil. Les choses commencent à bouger concrètement. Nous faisons aussi des webinaires réguliers, qui mettent en avant nos membres, mais aussi d’autres professionnels — hommes et femmes — qui soutiennent la cause de la diversité et de l’inclusion au niveau des conseils d’administration.
Il est tout de même important de savoir qu’il s’agit d’une initiative bénévole que je mène pendant mon temps libre (et je n’en ai pas beaucoup). Donc j’agirai à mon propre rythme, et à celui des quelques membres du Board of Good qui me donnent un coup de main bénévolement pour soutenir cette cause. Nous avons bien sûr beaucoup d’idées, mais nous n’avons pas encore décidé d’une stratégie sur le long terme et nous ne voulons pas nous mettre une pression démesurée.
Comment la création de cette plateforme a été accueillie par les femmes, les entreprises et les membres de conseils d’administration?
Une semaine après le lancement du Register of Women Directors, 123 femmes s’étaient déjà inscrites, venant de secteurs très variés (finance, tourisme, secteur manufacturier, éducation, consulting, entrepreneuriat, etc.). Nous sommes, aujourd’hui, à près de 250 candidates et nous recevons de nouvelles applications tous les jours ! Je ne m’attendais, sincèrement pas à un tel retour. Cela me démontre qu’il y a une soif réelle de la part des femmes dirigeantes à Maurice d’être plus visibles, d’accéder à des postes de direction pour mieux contribuer à la stratégie et à la croissance des organisations de ce pays.
Les entreprises et autres membres de conseils d’administration sont très positifs. Nous recevons plusieurs demandes par semaine, donc je pense que cette initiative marche ! Cela démontre aussi qu’avec très peu de moyens (dans le cas présent un site web que j’ai développé moi-même et un questionnaire Google), chaque citoyen peut vraiment faire une différence !
Avez-vous des chiffres pour décrire la situation actuelle concernant la représentation féminine sur les boards?
Oui, d’après le Mauritius Institute of Directors, nous serions aujourd’hui à 13 % de représentation des femmes au niveau des Boards à Maurice. C’est beaucoup mieux que les 8,7 % en 2018, mais nous sommes malheureusement encore loin de la parité sur les boards, sachant que les femmes représentent quand même 51 % de notre population.
Pourquoi y a-t-il aussi peu de femmes représentées selon vous?
Je pense que notre société est basée sur un modèle patriarcal, ce qui explique la disproportion historique entre hommes et femmes au niveau décisionnel des organisations. Cela dit, les choses changent, et pour le mieux. Je discute avec beaucoup de CEOs et de Board Members, tous extrêmement ouverts au changement, et qui sont en train de mettre en place des mesures réelles pour promouvoir davantage de diversité et d’inclusion au sein de leurs équipes. Bien sûr, tout ne changera pas en une nuit, mais il faut y croire, et surtout faire soi-même des efforts, et bouger, pour faire avancer les autres.
“elles ne font pas toujours ce qu’il faut pour se faire entendre, par pudeur, timidité, peur du jugement, ou manque de confiance…”
Natacha Émilien | Fondatrice | Board of Good
Quels sont les avantages, selon vous, d’avoir une femme dans un rôle décisionnaire ? Qu’y a-t-il de différent dans la manière de diriger, comparativement à un homme?
Il a été maintes fois prouvé qu’avoir plus de diversité (incluant plus de femmes, mais aussi plus de compétences, d’âges et de parcours divers) au niveau décisionnel améliore grandement la qualité de la prise de décision, et permet même à l’entreprise de générer de meilleurs résultats financiers !
Sans vouloir trop généraliser, je pense que la femme est, par nature, faite pour prendre soin des autres et de sa famille : elle a donc une sensibilité, une empathie et une attention particulière aux sentiments et émotions des gens qui l’entourent. Mais ces caractéristiques peuvent aussi se retrouver chez certains hommes particulièrement sensibles. Une femme (ou un homme sensible) aura donc, bien sûr, une manière extrêmement différente de voir les choses au sein d’un conseil d’administration, ou de diriger une entreprise si elle en a l’opportunité. Cela ne veut pas dire qu’elle sera plus faible, ou une moins bonne dirigeante, mais elle gèrera certainement les choses avec plus d’empathie… et nous avons grandement besoin d’empathie aujourd’hui dans le monde du business : pour mieux comprendre et servir les clients, et mieux fidéliser nos employés par exemple.
Que faudrait-il faire pour qu’il y ait plus de femmes dans ces rôles?
Il faut continuer à œuvrer tous ensemble pour faire bouger les choses, ne pas hésiter à promouvoir les initiatives citoyennes comme le Board of Good, devenir des sponsors actifs de la diversité au niveau des conseils d’administration, et encourager les jeunes femmes à oser candidater pour des postes décisionnels.
Du côté des femmes elles-mêmes, je reste persuadée qu’elles ne se mettent pas en avant, qu’elles n’osent pas assez, et qu’elles ne font pas toujours ce qu’il faut pour se faire entendre, par pudeur, timidité, peur du jugement, ou manque de confiance. Je dis souvent aux femmes qui souhaitent évoluer vers des postes à responsabilité qu’il leur faut joindre l’action à la parole, et commencer à se faire entendre pour se distinguer des autres. Pour cela, avoir des choses intelligentes à dire est bien sûr important, et l’outil digital peut vraiment aider une femme à faire entendre sa voix !
Vous êtes une femme dirigeante. Quels sont vos meilleurs moments ? Et quelles sont les difficultés les plus récurrentes?
Plus jeune, j’ai bien sûr connu le manque de confiance en soi, la peur du jugement, le fameux « syndrome de l’imposteur » (qui me titille malheureusement encore parfois), mais je dois dire qu’aujourd’hui, avec l’âge et plus de maturité, j’ai pu surmonter ces difficultés en grande partie. Cela reste cependant le cheminement d’une vie, et il y a encore toujours des moments de doute, des peurs, des barrières, mais à force de travailler dur, sur moi-même avant tout, j’apprends, je grandis et je fais de mieux en mieux ! Je dis donc à toutes les jeunes femmes qui aspirent à devenir dirigeantes de ne plus hésiter, et de s’engager activement et courageusement.