Quelle que soit la casquette qu’elle a portée durant sa carrière — avocate, diplomate, députée, ministre ou encore ambassadrice — Shirin Aumeeruddy-Cziffra s’est toujours engagée dans la lutte pour les droits de la femme. Celle qui a été la première femme ministre de la Justice et ministre des Droits de la femme et de la famille à Maurice a su utiliser sa voix pour l’avancement et l’émancipation des femmes. Un engagement qui lui a d’ailleurs valu plusieurs récompenses, dont un doctorat honoris causa de l’Université de Paris Panthéon Sorbonne et la Légion d’honneur française ! Shirin Aumeeruddy-Cziffra revient sur son parcours, ses engagements et sur l’évolution des droits de la femme à Maurice durant ces dernières décennies, en particulier sur le manque de parité politique et économique.
Publié dans Investor’s Mag, 20e édition, 22 mars – 22 June
On vous connaît comme avocate, diplomate et femme politique, mais vous êtes surtout renommée pour être un grand défenseur des droits humains, de la femme et des enfants. Qu’est-ce qui a motivé cet engagement en faveur de ces causes?
J’ai grandi dans une famille où l’on était épris de justice, avec un oncle maternel avoué et un autre juge et premier Gouverneur général de Maurice. Mon père était quelqu’un de juste, de rigoureux et toute la famille m’a transmis les valeurs que je défends aujourd’hui. Au Queen Elizabeth College, nous avions des houses qui portaient des noms de femmes célèbres : Curie, Nightingale, Pankhurst et Fry. J’ai été marquée par le courage et la ténacité de ces femmes à une époque où la femme était très peu reconnue et n’avait pas le droit de vote. Certaines se sont battues et ont même sacrifié leur vie.
Maurice célèbre, cette année, ses 30 ans de République. Quel bilan faites-vous en matière d’avancement pour les droits des femmes et des filles sur le plan local?
Le verre est à moitié plein. Nous avons fait des progrès, mais il nous reste encore beaucoup à accomplir pour un pays qui se veut démocratique et développé. C’est d’ailleurs le sujet du livre que j’ai écrit et dans lequel j’évoque « l’évolution des droits de la femme à Maurice. »
Que ce soit sur le plan strictement juridique ou sur la parité politique ou économique, nous avons encore beaucoup d’efforts à faire. La femme est une citoyenne à part entière depuis que la Constitution a été amendée en 1995 pour interdire les lois sexistes. Mais elle est encore victime de toutes sortes de discriminations dans la vie professionnelle et publique. De plus, beaucoup de femmes sont victimes de violence conjugale ou de harcèlement sexuel. Quant à leur rôle de « reproductrice », il est mal et peu considéré.
Le nombre de femmes au Parlement à Maurice reste inférieur comparativement à d’autres pays en Afrique. Comment l’expliquez-vous?
Dans mon livre, je parle de la parité en détail. Nous avions trois élues sur 70 en 1976 (4,3 %) et 43 ans plus tard, nous n’avons que 20 % d’élues. Trois femmes ministres sur 22/24 c’est toujours peu. Il faut un consensus politique pour changer le système électoral tri-nominal à un seul tour et le système de best loser. Au niveau des élections régionales, on a introduit un quota qui oblige chaque parti à présenter un tiers de candidats de chaque sexe dans chaque arrondissement. Cela a complètement changé les résultats. Mais je ne vois pas d’accords entre les partis dans un proche avenir pour les élections législatives. C’est donc aux femmes de se mobiliser.
Vous êtes aussi ambassadrice de bonne volonté de l’Union européenne et membre de comités internationaux en faveur des enfants et de l’égalité des genres. Est-ce que cela vous aide à mieux influencer les changements?
En tout cas, j’apprends tous les jours et j’essaie de faire passer des messages. Les individus et les ONG ont souvent fait pression pour obtenir des changements. Mais il faut des femmes à tous les postes de responsabilité pour qu’on avance véritablement. Il y a 39 % de femmes en haut de la hiérarchie du secteur public, y compris la justice où il y a une cheffe juge et 15 femmes juges sur 22. Le progrès est plus lent dans le secteur privé, alors que toutes les instances internationales expliquent que la bonne gouvernance implique une plus grande diversité à la tête des entreprises et que l’inclusion des femmes est un facteur de croissance. Mais dans les conseils d’administration, il y a seulement 13 % de femmes et 6 % qui en sont présidentes. Et il semble que huit femmes dirigent une entreprise privée.
Quels sont les moments qui vous ont le plus marqué?
Dans la vie publique, c’est bien sûr la victoire par 60-0 de 1982, quand presque tou/te/s les Mauricien/ne/s étaient à l’unisson et pouvaient espérer une vie meilleure.
Malheureusement, c’était trop beau pour durer et certains ont réussi à semer la discorde entre nous. Mais j’ai connu d’autres moments intenses qui m’ont donné une grande satisfaction et même du bonheur. D’abord à la mairie de Beau-Bassin–Rose-Hill, quand nous avons transformé les faubourgs et développé tous les recoins de la ville. Ensuite, représenter Maurice dans des grandes capitales européennes, en particulier à Paris, a été une expérience exceptionnelle, surtout au moment où nous avons accueilli le 5e Sommet de la Francophonie en 1993 à Grand-Baie. En France, Maurice était alors sous les feux des projecteurs.
Y a-t-il des lois qui ont été adoptées et qui tiennent une place importante pour vous?
La réforme du Code Napoléon et les amendements au Protection from Domestic Violence Act sont des grands progrès, même s’il faut encore peaufiner ces lois. Le Comité des Droits humains des Nations unies avait « condamné » comme discriminatoires les amendements de 1977 à l’Immigration Act et à la Deportation Act. À l’époque, j’avais été personnellement visée, ayant épousé un Français. Par la suite, mon époux a été naturalisé mauricien. Et le 8 mars 1983, j’ai pu moi-même modifier ces deux lois dans le bon sens au bénéfice des autres femmes.
Vous vous êtes engagée en faveur de diverses causes, mais il y a-t-il un sujet sur lequel vous avez changé d’avis depuis toutes ces années?
Non. Au contraire, je suis plus que jamais certaine que les stéréotypes persistent et font du tort aux femmes qui sont toujours mal considérées, mal rémunérées, peu reconnues, et même battues et tuées. Nous devons lutter pour que les hommes et les femmes trouvent un meilleur équilibre. Il faut aller à la racine des problèmes, même si c’est un long combat. Mais ça en vaut le coup puisqu’il s’agit de trouver la paix dans les familles et dans la société.
Quel est votre message pour les jeunes femmes et filles d’aujourd’hui?
Prenez votre destin en main. Jamais on ne vous donnera des droits sur un plateau. La liberté se conquiert. Nous les aînées, nous avons déjà beaucoup donné. À vous de savoir comment faire dans la conjoncture actuelle. Notre avenir est encore à inventer.