Ancien Secrétaire au Cabinet, et ex-Senior Adviser du Premier ministre sur le dossier Chagos, Sateeaved Seebaluck estime que l’Inde devra jouer à l’intermédiaire entre les Etats-Unis et Maurice afin d’évincer le Royaume-Uni de l’archipel. Il évoque aussi les opportunités du territoire en termes de développement durable.
Publié dans Investor’s Mag, 20e édition, 22 mars – 22 June
Il y a eu une promesse de « retour » dans l’archipel des Chagos, mais la mission « scientifique » n’a pas donné les résultats escomptés. Blenheim Reef n’est-il pas un « no man’s land »?
Un retour dans l’archipel avec les Chagossiens avait été annoncé par le Premier ministre depuis un moment déjà. Une enveloppe de Rs 50 millions avait été votée afin que ce projet devienne une réalité. Des démarches avaient été initiées pour affréter un navire approprié pour un tel périple. Malheureusement, un certain nombre de difficultés ont surgi.
Entre autres, il y a eu la Covid-19 et les restrictions qu’elle a engendrées tant à Maurice qu’à l’étranger, d’où l’indisponibilité d’un navire pour une telle traversée. Dans le contentieux qui oppose Maurice aux Maldives au sujet de la délimitation de notre Zone économique exclusive aux Chagos, des données additionnelles doivent être soumises au Tribunal international du droit de la mer. Une erreur de quelques centimètres peut nous faire perdre des kilomètres d’espaces maritimes. Les Maldives ont traîné des pieds sur ce dossier – bien qu’ils aient fait part de leur intention de venir s’asseoir à la table des discussions – jusqu’à ce que Maurice obtienne l’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur le parc marin créé par le Royaume-Uni aux Chagos.
Plusieurs correspondances adressées à Malé sont restées sans réponses. Port-Louis n’a eu alors d’autres alternatives que de s’en remettre au Tribunal internationale du droit de la mer pour trancher sur la question. D’autant plus qu’il était clair que Malé jouait le jeu de Londres, ayant voté contre nous lors de la résolution à l’Assemblée générale des Nations unies quant à souveraineté mauricienne sur les Chagos.
En ce qu’il s’agit de Blenheim Reef, il est dit, de part et d’autres, qu’il ne faisait pas partie du British Indian Ocean Territory. Mais, il vous faut que Maurice l’a ajouté, dès 1975, dans la liste des atolls et îlots faisant partie de son territoire, illégalement excisé par le Royaume-Uni une décennie plus tôt. La mission sur Blenheim Reef ne pourra que nous être bénéfique, les données recueillies à marée basse et même à marée haute pouvant étoffer notre dossier devant le Tribunal international du droit de la mer.
Des critiques ont été formulées quant à la gestion mauricienne de ses zones maritimes et de l’éventualité que Maurice exploite ces eaux pour la pêche. Est-ce qu’il y a eu une politique définie sur ces vastes étendus que le Royaume-Uni a tenté de convertir en aire marine protégée?
Le parc marin créé par le Royaume-Uni a été déclaré illégal en 2015. Le gouvernement mauricien travaille de concert avec les scientifiques, car il s’agit d’un espace qui demande à être protégé. Des consultations doivent être engagées avec les acteurs concernés et la Commission thonière de l’océan Indien afin que des zones soient délimitées pour les besoins de conservation sur terre et sur mer.
Les Britanniques ont mis sur la table le projet de relogement des Chagossiens dans l’archipel. Combien un tel projet coûtera-t-il aux contribuables mauriciens?
Un travail a été initié sur la question avec les ministères concernés. Nous avons également pris en compte un rapport de faisabilité présenté par les Britanniques il y a quelques années. Des routes, une école, une église et un hôpital sont autant d’infrastructures nécessaires pour le relogement des Chagossiens. Une liste a déjà été établie. La visite du Premier ministre sur place devrait nous éclairer sur le montant qui sera consenti pour une telle initiative.
Combien de Chagossiens voudront repartir vivre là-bas, selon-vous ? Exclusivement ceux qui y sont nés ou faudra-t-il compter les deux générations qui ont vu le jour à Maurice?
La population chagossienne à Maurice compte 3 500 âmes. Un certain nombre d’entre eux voudront y retourner vivre. Un plan de relogement ne devra concerner que Peros Banhos, Salomon et une troisième île. Mais, nous n’en sommes pas encore là. Il reste des actions diplomatiques à mener pour forcer le Royaume-Uni à nous restituer les Chagos. Nous avons déjà demandé à ce que les Britanniques soient expulsés de la Commission thonière de l’océan Indien, le British Indian Ocean Territory n’ayant pas de ‘locus standi’ avec la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies. Ils pourront faire une demande pour la réintégrer la Commission en tant qu’Etat engagé dans la pêche dans la zone.
Est-ce que le modèle de développement aux Chagos sera calqué sur celui d’Agalega?
Les Chagos pourront être un exemple de développement durable, le concept de Maurice Île Durable n’ayant pas vraiment fonctionné. Seule la pêche artisanale devra y être autorisée, d’autant que l’on affirme que c’est l’unique endroit au monde où les poissons meurent de vieillesse. Maurice aura également l’occasion de démontrer qu’elle a à cœur la protection de l’environnement. Cela révélera également quel est l’empreinte carbone réelle du Royaume-Uni lorsqu’elle ne soumettra plus de données au sujet des Chagos.
L’archipel sera-t-il autonome?
Vous y allez vite en besogne. Les Chagos seront à l’image de ce que Rodrigues était avant l’autonomie… Il faut d’abord mettre en place les infrastructures nécessaires et installer les Chagossiens avant de parler d’autonomie. Attendons, avant tout, que Maurice prenne possession des lieux.
Le vote du Petroleum Bill, en quatrième vitesse, signifie-t-il qu’il y a des gisements pétrolifères aux Chagos?
Il ne faut pas faire d’amalgame. Le Petroleum Bill devait être dépoussiéré. J’ai personnellement travaillé dessus. Evidemment, avec une telle étendue maritime, il nous fallait un cadre légal approprié. Maurice ne va quand même pas aller prospecter les fonds marins lorsqu’elle prendra possession des Chagos. Le potentiel est là, certes, mais j’ignore ce que le gouvernement actuel ou futur fera. Nous avons encore beaucoup de temps devant nous.
Maurice brandi constamment la question de la souveraineté au sujet des Chagos. Et ce même argumentaire est le leitmotiv utilisé par les Occidentaux pour contester l’invasion de l’Ukraine par la Russie…
Oui, malheureusement, le Royaume-Uni use d’un double langage. Il fait le contraire sur le dossier Chagos. Maurice doit savoir user de sa carte diplomatique afin de faire entendre sa voix.
Quel pourrait être le rôle de l’Inde, qui se présente comme le grand frère de Maurice, sur le dossier Chagos?
Le principal rival de l’Inde dans la zone est la Chine. La Grande Péninsule a à cœur la protection de son pré-carré. Son allié dans l’océan Indien est l’Oncle Sam, lequel est installé sur la base de Diego Garcia. L’Inde a un grand rôle à jouer sur ce dossier. Il pourra être l’intermédiaire entre les Etats-Unis et Maurice pour faire avancer les choses. Le Royaume-Uni étant en train de perdre chacune des batailles engagées par Maurice, les Etats-Unis ne pourra soutenir un Etat qui est en situation illégale. Le gouvernement mauricien a déjà indiqué qu’il ne contestera pas la présence des Américains sur Diego Garcia. Ils ont une belle opportunité pour régulariser leur présence là-bas.
Combien Maurice pourrait obtenir des Etats-Unis pour la location de Diego Garcia?
Chaque chose en son temps. Le gouvernement doit avoir un plan. Je parle en mon nom personnel et non au nom du gouvernement. Nous pouvons, par exemple, bénéficier d’accords bilatéraux avec les Etats-Unis dans le domaine du commerce et de la sécurité, par exemple. Les Etats-Unis pourront nous être utile pour la protection de cette étendue maritime.
Ne craignez-vous pas que les Chagos soient mis sous tutelle des petits copains du gouvernement ? Chaque parti, chaque alliance, ayant eu la mauvaise habitude d’octroyer des contrats à ses proches depuis l’Indépendance…
Les Chagos ont leurs spécificités propres. De plus, les projecteurs seront braqués sur nous lorsque Maurice prendra possession de ce territoire. Il n’y aura pas de place à de telles erreurs.