Alexandre Masnin, Head of Wealth Management- International Investment Sales à AfrAsia Bank, Alexandre Masnin donne son point de vue sur les conséquences économiques et financières du conflit russo-ukrainien.
Publié dans Investor’s Mag, 20e édition, mars – juin
Quelles sont les conséquences de cette guerre à laquelle nous assistons en Ukraine sur le marché financier mondial?
L’incidence de la guerre en Ukraine a un double effet. Tout d’abord la Russie et l’Ukraine représentent 25 % des exportations mondiales de blé, tandis que la Russie est le premier exportateur mondial de palladium (37 %), un composant essentiel pour le secteur automobile, et des semi-conducteurs notamment. Nous étions déjà entrés dans un environnement inflationniste dont l’espoir de ralentissement n’était pas attendu avant la seconde moitié de 2022, mais suite à ces évènements et le caractère durable de la crise, il faut s’attendre à ce que l’inflation reste élevée plus longtemps. Cela pose un second problème car la hausse des prix des matières premières est souvent le prélude à une récession, ou pour le moins, à un ralentissement économique marqué. D’ailleurs, si l’on examine attentivement la différence entre les deux taux de référence que sont 2 ans et 10 ans aux Etats-Unis, celle-ci est tombé à 27 points de base d’écart contre 80 points de base début 2021. Généralement, quand cet indicateur se rapproche de 0 ou tombe en territoire négatif et il s’en suit une période de récession dans les trimestres qui suivent. En contraste de la crise de la Covid-19, les munitions disponibles par les banques centrales ou les gouvernements sont limitées. Les banques centrales vont même devoir remonter les taux, peut-être plus fortement qu’attendu dans un premier temps pour lutter contre l’inflation alors même que cette hausse va freiner encore plus la croissance économique.
Par ailleurs, les Etats-Unis ont déjà prévu de diviser par 2 les dépenses publiques en 2022 par rapport à 2021. Le cumul de ces scénarios va continuer de se répercuter sur les marchés financiers à l’instar de l’indice de la peur, c’est-à-dire la mesure de la volatilité (VIX), qui reflète le sentiment général. Plus cet indice est élevé plus l’inquiétude est grande et ce dernier est passé de 17 points au début de 2021 à 31 points aujourd’hui. Cependant l’arsenal de sanctions que les occidentaux ont imposé à la Russie est beaucoup plus sévère que lors de la crise de Crimée en 2014 et pourrait donc pousser la Russie à trouver un accord plus rapidement, ce qui pourrait profiter aux marchés actions. D’ailleurs suite aux gros dégagements que l’on a pu constater depuis le début de l’année les valorisations sur le SP 500 reviennent à 19 années de bénéfice et même moins de 13 années sur l’Euro Stoxx 50.
Qu’en est-il du marché financier Mauricien? Faut-il s’attendre à ce que les investissements se tarissent dans la Mauritius IFC?
Alors que le SP 500 a perdu plus de 10% depuis le début de l’année tout comme les principales places européennes, le marché mauricien est resté relativement stable notamment porté par le secteur hôtelier. En revanche, l’incidence de la guerre peut être particulièrement dommageable sur la dépréciation de la roupie. En temps de guerre, les investisseurs privilégient les monnaies fortes notamment le dollar qui s’est d’ailleurs apprécié face aux principales devises par plus de 3% depuis le début de l’année. La situation actuelle se dégraderait si le dollar se rapprochait de la parité avec l’euro. Un tel cas de figure, qui pourrait se produire si les tensions géopolitiques augmentent, va venir éroder encore plus le pouvoir d’achat des consommateurs mauriciens après une inflation de 9% en glissement annuel en février ainsi que les marges des entreprises qui n’auront pas la faculté de refléter la hausse des prix sur les clients finaux. Un combo qui limitera les hausses de salaires et donc les secteurs de la consommation. En revanche une roupie faible est plutôt attractive pour les étrangers tant que le cadre réglementaire et social reste sain.
Avec cette guerre qui accroît la volatilité et l’incertitude, quel est le « mindset » des investisseurs?
L’incertitude accroît l’attractivité des valeurs refuges notamment l’or, qui n’offre pas de rendement et qui est donc utilisé dans les portefeuilles comme un tampon en cas de chocs. L’or a ainsi progressé de 8% depuis le début de l’année. Et de l’autre, le cash est immune à toute variation des marchés et permet de se repositionner plus tard sur des actifs qui ont perdu 10-20% de leur valeur. À titre de comparaison, les prix du pétrole avaient doublé pendant la guerre Irak-Koweït en août 1990, mais les actions avaient regagné leurs pertes avant même la fin de la guerre pour ensuite retrouver leurs niveaux d’avant-guerre en avril 1991. Et lors des différentes guerres dont la crise des missiles de Cuba en 1962, les marchés américains sont restés en territoire positif dans les 12 mois qui ont suivi, à l’exception de la crise de 2001 qui a vu des scandales financiers (Enron, Arthur Andersen et Worldcom). Dès lors que des pourparlers sérieux seront engagés, il faudra commencer à se repositionner sur les marchés actions. Attention toutefois à de faux espoirs liés à une tentative de déstabilisation des unes ou des autres parties prenantes à ce conflit.
Comme vous l’avez souligné, il y a une nouvelle ruée vers l’or. Certains analystes affirment que les prix de référence de l’or dépasseront les 2 000 dollars l’once avec cette crise. Votre avis?
Le métal jaune a gagné en tractions suivant l’invasion russe en Ukraine, étant préféré comme valeur refuge en période d’incertitudes. Cette fois encore, comme lors des crises précédentes, l’or montre son éclat. Cependant l’or perd de son intérêt lors de phases de remontée de taux puisque l’arbitrage se fait entre un actif sans rendement et l’actif dit sans risque du bon du trésor américain qui offre du rendement. Il reste toutefois à nuancer cet arbitrage en fonction des taux d’intérêt réels qui représentent le taux d’intérêt nominal déduit de l’inflation. Par conséquent, dans le contexte actuel, avec les taux nominaux évoluant toujours dans des niveaux bas, et l’inflation ayant atteint son plus haut niveau depuis 40 ans, notamment aux Etats-Unis, les taux d’intérêt réels sont toujours négatifs ce qui incite toujours à préférer les actifs ‘risqués’ (actions notamment) dont la performance sur le long terme est attendue au-dessus de 7% par an. Cependant, vu les incertitudes actuelles et le risque de contraction de l’économie mondiale si le conflit s’enlise, l’or trouve un certain intérêt à court terme. Pour autant on peut remarquer que lors de la crise de 2007-2008 l’or avait grimpé de près de 75% sur 18 mois avant de reperdre 27% et a ensuite évolué dans cette “range” entre 2013 et 2019. Même si ce scénario se dissipe en raison des circonstances actuelles, la baisse annoncée de la taille du bilan de la FED serait aussi nuisible à l’or. Et la vélocité de prise de bénéfice sur l’or tend à confirmer que le prix est pour le moment dirigé par les inquiétudes géopolitiques qui vont, on peut l’espérer, finir par se dissiper.