Sébastien Le Blanc n’a pas sa langue dans sa poche, et c’est peu dire! Directeur et fondateur de MIPS, société engagée dans la Fintech et les paiements digitaux, il a un avis bien tranché sur la transformation digitale à Maurice. Ce “Digital Darwinist” partage un point de vue qui touche à la pandémie, à l’écosystème digital et à la théorie de l’évolution…
Sébastien Le Blanc, quels sont les derniers développements au sein de votre entreprise, MIPS?
Oh ! Avoir des nouveaux développements de manière hebdomadaire est une situation normale chez MIPS. Je citerai les 3 principales: La M Card qui est actuellement en précommande. Il s’agit d’une carte multifonction écologique qui peut servir aussi bien de carte de visite, de carte de fidélité et de moyens de paiements (au pluriel). Ensuite je citerai notre technologie fait maison qui s’appelle IDP et qui permet à toute institution financière de transformer son App en moyen de paiement et finalement un système de e-scoring malin.
A quel point la Covid-19 a-t-elle affectée ou favorisée la quatrième révolution industrielle?
La quatrième révolution industrielle étant, par essence, celle du sans contact, la Covid-19 et elle sont faites pour s’entendre. Est-ce une bonne nouvelle dans l’absolu ? Je ne sais pas. Mais pour l’industrie du “virtuel”, oui, la Covid a été un Cataclysme faisant office de Catalyseur.
Comment se passe cette transition vers les paiements numériques? Comment les entreprises s’y adaptent et quels sont les principaux défis?
Cela dépend des pays. La pression vient du peuple et du Darwinisme Digital naturel. Les entreprises et institutions financières suivent souvent la tendance par opportunisme, rarement pour être leader ou avant-gardiste. La philosophie du “je regarde d’abord si mon voisin le fait avant de le faire” est culturelle dans cette région du globe. Les exceptions tardent à devenir la règle. Les défis des entreprises et institutions financières sont éternellement ‘old school’ et conservatrice à l’extrême jusqu’à se maintenir dans l’éternel paradoxe suivant: démontrer par des chiffres qu’il y a une demande pour quelque chose qui n’existe pas encore. Je m’amuse souvent de cette approche tellement touchante de naïveté. La majorité n’assimile que très peu l’histoire récente de son évolution que j’appelle souvent Darwinisme Digital.
Dans le cadre de cette transformation numérique, quelles sont les qualités que doivent aujourd’hui avoir les conseils d’administration et les dirigeants d’entreprise?
Vous avez raison, abordons la question du point de vue de la présence de qualités plutôt que de l’absence de défauts. Le conseil d’administration ? Qualité principale ? Savoir s’effacer. Savoir admettre qu’ils payent des gens pour être plus malins et compétents qu’eux. Sinon je suppose qu’ils feraient le boulot eux-même. Encourager et guider.
Le Dirigeant? Ne pas être un ‘béni oui oui’. Connaître le métier de base à fond. Être un bon leader. Attention, pas le leader comme défini dans les clichés qu’on voit fleurir sur LinkedIn. Non, le leader qui laisse sa liberté au collaborateur. Celui qui ne l’infantilise pas.
Dans ce monde en pleine mutation, où se situe Maurice par rapport à d’autres pays de la région et du globe lorsque l’on parle de l’évolution du cashless?
Oh loin ! Nous avons une micro culture du cash ici bien que le taux de bancarisation soit très élevé. Ce qui est en soi une bonne nouvelle ! Cela signifie qu’il y a de quoi faire. Une terra incognita à explorer !
Les choses évoluent, des fois en arrière, des fois en avant. Elles évoluent en arrière quand le développement se fait en solo. Et en avant quand il est collaboratif.

Le pays est-il en retard? La Fintech est un secteur en pleine expansion, a-t-il le potentiel de devenir le premier pilier économique du pays?
Oui aux deux questions. Je ne m’étalerai pas sur la première qui est une évidence pour quiconque a trempé dans le ‘so called’ milieu de la Fintech. Maurice, et la région, sont des territoires privilégiés pour la réelle Fintech. Quand je dis Fintech je fais référence à la définition des premiers combattants du milieu dont MIPS fait partie. Pas aux opportunistes linguistiques qui s’accrochent à ce mot qui a pris un sens marketing plutôt qu’opérationnel aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’on est dans le milieu de la finance et qu’on a des ordinateurs qu’on est une Fintech… Exactement comme ce n’est pas parce que qu’on scan des documents papiers en PDF qu’on fait de la ‘digitalisation’…
Un des éléments clés du développement d’un secteur est la main-d’œuvre. A-t-on les qualités nécessaires localement pour soutenir l’industrie de la Fintech, où doit-on impérativement avoir recours à l’expertise étrangère?
Sans langue de bois : non, nous n’avons pas les qualités actuellement pour devenir un hub Fintech. Mais nous avons la capacité de les acquérir. Et avoir recours à l’expertise étrangère est le meilleur moyen de ne pas l’acquérir. Nous avons besoin que les conditions suivantes soient remplies : 1) que les décideurs privés et publiques fassent confiance à la capacité d’apprentissage des Mauriciens. Même si là, tout de suite nous sommes en dessous de l’expertise étrangère. 2) que les Mauriciens, qui souhaitent s’engager dans cette voie, comprennent que le secteur a besoin de cerveaux créatifs et non pas de copieurs et encore moins d’opérateurs. Répliquer n’est pas innover. ‘Adapter’ est déjà plus proche du concept. 3) que ces Mauriciens se donnent les moyens par eux même de foncer dans le domaine. Ceci, soit en identifiant des (vrais) acteurs locaux de la Fintech et foncer les rejoindre. Soit se lançant, jeunes, dans la voie de l’entrepreneuriat. Ce qui contribuera, par ailleurs, à en finir avec les conglomérats qui étouffent l’innovation en toute bonne foi souvent.
Que représente le continent africain pour l’entrepreneur de la Fintech que vous êtes?
Une page blanche sur laquelle les mots s’écriront d’eux même au fil de l’évolution naturelle des événements.
Vous dites être un Digital Darwinist et vous encouragez les gens à en devenir. C’est quoi exactement être un Digital Darwinist?
Quelqu’un qui accepte que définir l’évolution par la biologie uniquement est une illusion. Tomber dans dans ce piège est facile car il permet une compréhension d’un phénomène complexe qui s’étale sur des échelles de temps que notre cerveau ne peut assimiler aisément. L’évolution, pour moi, concerne l’ensemble de l’écosystème du vivant qui comprend de manière non exhaustive : la sociologie, la spiritualité, la science, la technologie, la biologie, la psychologie, et donc aussi l’informatique.
L’expression que j’aime utiliser pour le définir : un darwiniste digital est aussi une simplification. Mais je l’utilise pour montrer qu’il y a d’autres évolutions que celle biologique et que tout comme cette dernière, elle est inéluctable. Adapte toi.