Thierry Hebraud, Head of CIB, MCB se confie à Investor’s sur les challenges de la finance durable.
Quelle est, personnellement, votre définition de la finance durable?
La finance durable fait référence aux pratiques de la finance qui prennent en compte les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance, que l’on appelle plus communément ESG, ou critères extra-financiers. Ils prennent en considération des financements, sur le long terme, dans des activités économiques considérées comme durables.
La finance durable est, selon moi, un levier indispensable pour relever les défis écologiques et économiques de notre époque tels que le changement climatique, la protection de la biodiversité, la prévention de la pollution, la lutte contre les inégalités et l’accès aux services essentiels, entre autres.
La finance durable demeure un levier important vers une transition écologique juste en mobilisant les flux financiers vers les projets à impact positifs pour la société et la planète en général.
Quels sont les enjeux de la finance durable pour une institution comme la MCB, et en particulier pour son département de Corporate and Institutional Banking que vous dirigez?
Comme vous le savez certainement, outre notre solide ancrage sur le plan local, nous sommes également, de plus en plus présents sur le continent africain. Dans cette optique, un des enjeux principaux est de pouvoir s’adapter aux spécificités géographiques. En effet, les impératifs et les urgences de développement durable ne sont pas les mêmes à Maurice et sur le territoire africain. Les différents standards et normes sont souvent calqués sur l’Europe ou les Etats Unis, ce qui demande d’être en mesure d’adapter nos activités.
Sur le plan local, la maturité du marché sur le sujet est moyennement élevée mais grandissante. Il nous faut donc sensibiliser nos partenaires et clients sur ces thématiques avant même de pouvoir déployer à grande échelle des produits et services durables. C’est un constat que nous avons fait depuis quelques années. Différentes prises de paroles du Groupe MCB ont donc eu pour objectif de vulgariser la notion de développement durable. En interne nous engageons systématiquement des discussions à ce sujet avec nos clients, avec pour objectif de les accompagner dans la transition vers un modèle d’affaires plus durable et résilient.
Il faut également souligner que la finance durable est un secteur qui évolue rapidement et, de ce fait, nous sommes en veille constante et explorons les opportunités adaptées à notre marché. Au niveau mondial la finance durable n’est plus un marché niche et devient de plus en plus ‘mainstream’ avec la génération Y et Z ayant une plus forte sensibilité aux enjeux environnementaux et sociétaux, et de par l’urgence autour du changement climatique mis en avant dans le dernier rapport su GIEC et à la COP26.
Comment réussissez-vous à concilier affaires et finance durable avec les limitations que cela peut comporter?
Il n’y a pas, à proprement parler, de contradiction entre « affaires » et finance durable. En effet, pour la MCB, le financement durable, au-delà des déclarations et engagements pris au cours des dernières années, est devenu un vecteur de développement de nos activités et une source nouvelle de croissance. Bien sûr les spécificités des financements dans le domaine des énergies renouvelables, par exemple, la longue durée des prêts, et des taux qui doivent rester bas, nous ont obligé à mettre en place une capacité spécifique d’analyse des risques et de dédier une enveloppe de financements pour y répondre. Nous sommes en cela accompagnés par des organismes internationaux comme Proparco ou l’AFD qui mettent à notre disposition des fonds dédiés à ces financements.
En conclusion, la finance durable sera porteuse de développement des affaires dans les années à venir pour notre Groupe.
Quelle est la position de la MCB en matière de financement des projets liés aux matières premières?
Ma réponse est claire : une banque africaine ne peut ignorer les besoins de développement économique du continent africain, ses besoins d’électrification, et l’accès à l’énergie pour une part encore importante de ses populations.
A ce titre il ne sera pas possible d’éliminer, immédiatement, le recours aux énergies fossiles. Notre support financier aux projets liés aux matières premières s’inscrit donc dans cette compréhension des besoins du continent et dans l’accompagnement à la transition énergétique passant par l’abandon du charbon, à la transition du fioul au gaz, et au financement de projets dans le renouvelable.
Les pays du Sud ont rappelé, lors de la COP 26, que les efforts qui leurs sont demandés et qu’ils mettent en œuvre, ne doivent pas mettre en péril leurs capacités et besoins de croissance pour permettre l’amélioration de la vie de leurs populations. Rappelons, en effet, que l’empreinte carbone d’un africain ou d’un indien est dérisoire par rapport à celle d’un européen ou américain…
La MCB avait lancé, en 2018, Success Beyond Numbers avec un fort aspect social et environnemental. Pouvez-vous en faire un bref constat 3 ans après?
Le Groupe MCB est plus que jamais engagé en faveur du développement durable qui fait partie de nos priorités stratégiques et nos trois piliers d’engagement dans le cadre de notre programme de développement durable ‘Success Beyond Numbers’ : une économie locale et durable, la préservation du patrimoine environnemental et culturel, et le bien-être individuel et collectif.
Depuis 2018, nous avons été très actifs avec, notamment, la tenue des conférences ‘Lokal is Beautiful’, ‘Klima’ et ‘Lokal rebound’ qui ont été suivis de rapports circonstanciés. Nous essayons au maximum de mobiliser les ‘stakeholders’ locaux ; entrepreneurs, entreprises, ONGs et pouvoir public en les sensibilisant sur le sujet et en proposant des pistes de réflexions. Nous sommes aussi très actifs au niveau de nos collaborateurs.
Tout récemment, nous avons lancé notre plan d’action interne sur l’Égalité des genres afin d’atteindre notre objectif de 40% de femmes au niveau des middle et senior management. Une des actions concrète a été de doubler le congé de paternité afin de faire passer le message que les hommes et les femmes sont égaux devant les responsabilités parentales. Nous travaillons en ce moment sur d’autres initiatives comme l’extension du congé maternité et nous souhaitons donner la possibilité pour plus de flexibilité au retour de cette importante étape.
En cette période confuse marquée par la pandémie de la Covid-19, nous sommes convaincus que les entreprises intégrant les enjeux de développement durable au cœur de leurs métiers seront plus résilientes et plus aptes à mieux rebondir.
Plusieurs pays planchent sur des réglementations en matière de finance durable. Y a-t-il une carence à ce niveau à Maurice?
Il y a indéniablement une prise de conscience sur les sujets liés au développement durable à Maurice. Il est, par exemple, de plus en plus fréquent de retrouver des métiers liés au développement durable au sein des entreprises locales et petit à petit cette communauté se structure et a de plus en plus de poids. Cette prise de conscience se retrouve aussi dans la finance durable.
Ainsi, depuis plusieurs années la Bourse de Maurice opère le Sustainability Index de la Stock Exchange of Mauritius (SEMSI). De plus, la Banque de Maurice est signataire du Network for Greening of Financial Systems (NGFS) qui est un réseau de banques centrales mondiales qui a pour objectif d’apporter une touche de développement durable à la finance et au système bancaire. Dans cette optique, le régulateur a lancé le mois dernier le Climate Change Centre avec, notamment, pour objectif d’intégrer la notion de risque climatique au sein des politiques bancaires, et de promouvoir la finance durable via la sensibilisation des acteurs et le partage des connaissances. Le métier de banquier ainsi est appelé à changer afin d’intégrer ces différentes notions.
Au niveau de la MCB, nous sommes signataires de nombreuses initiatives internationales de développement durable : le ‘Global Compact’, les ‘Equator Principles’ et les ‘Principles for Responsible Banking’ (PRB) des Nations Unies, entre autres. Cette transformation vers l’économie de demain, nous la préparons depuis quelques temps afin d’accélérer la transition vers une économie bas-carbone via nos produits et services.