Mreedula Mungra, CEO de la MARENA revient dans l’entretien qui suit sur les avancées de Maurice en matière de développement des énergies renouvelables et sur les projets et réalisations de cette institution gouvernementale. Cette dernière nourrit aussi de grands espoirs pour les énergies renouvelables qui sont, selon elle, la base de la prochaine révolution industrielle.
Quel est le mandat de la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA)?
Le développement durable est sur toutes les lèvres, que ce soit à Maurice ou à l’étranger, et les énergies renouvelables y a un rôle clé à jouer. Elle est vue comme une “mitigation measure” pour respecter l’accord de Paris, c’est-à-dire limiter le réchauffement climatique à 1,5 et 2 degrés.
L’IRENA (International Renewable Energy Agency) est l’institution de prédilection pour les énergies renouvelables dans le monde. Comme l’Australie a son Australian Renewable Energy Agency (Arena), Maurice a son Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA) qui est régi par la MARENA Act 2015.
En 2015, le gouvernement mauricien a annoncé la création de MARENA pour mettre en place une agence dédiée aux énergies renouvelables. La MARENA a ainsi été créée sous la MARENA Act 2015, avec un mandat très précis visant à promouvoir les énergies renouvelables à Maurice car il est clair que le développement des énergies renouvelables est l’avenir de demain.
Certains diront que Maurice bénéficie de beaucoup de soleil – scientifiquement d’ailleurs on bénéficie d’une irradiance solaire supérieure à de nombreux pays – et qu’il est donc facile de produire de l’électricité grâce au rayonnement du soleil. Mais il y a beaucoup d’autres éléments à prendre en considération avant de se lancer dans les énergies renouvelables. Par exemple, comment on l’adapte à notre climat. Ce n’est pas parce que d’autres pays réussissent à utiliser ces énergies renouvelables qu’on peut le faire nous aussi.
C’est pourquoi, un des mandats de la MARENA, est d’étudier ces technologies liées aux énergies renouvelables et de faire des études de faisabilité, afin de voir à quel point elles sont adaptées à notre pays, à la demande ou encore au climat car n’oublions pas aussi que nous faisons souvent face à des cyclones. Nous sommes aussi responsables de démystifier et « derisk » ce genre de technologie, pour que les investisseurs puissent venir en toute confiance à Maurice afin de développer ce secteur.
Nous avons aussi pour mandat de vulgariser les énergies renouvelables auprès de la population. Pour ce qui est des réalisations, MARENA a déjà organisé des sessions de formation de base en matière d’énergies renouvelables en collaboration avec le National Council of Women et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Nous avons ainsi pu toucher 2000 femmes à travers l’île.
Idem pour les femmes responsables des PMEs ou à la tête de micro-entreprises. Avec le PNUD, la MARENA a organisé, en collaboration avec la MITD, des cours sur l’entrepreneuriat avec accent sur les énergies renouvelables. Notamment comment faire des économies en termes de besoins énergétiques de leurs entreprises. Plus de 200 femmes ont été formées.
Par ailleurs, pour faire du secteur des énergies renouvelables, un pilier important de l’économie mauricienne, il est impératif d’avoir les ressources humaines nécessaires.
Nous nous sommes rendu compte qu’il n’y a pas de cours sur les énergies renouvelables à Maurice. Dans un premier temps, avec les frontières fermées, nous avons lancé, en collaboration avec la British High Commission et le PNUD, la MARENA Renewable Energy Scholarship, par le biais duquel des gradués en ingénierie et sans emploi ont été sélectionnés. Le programme est composé de cours théoriques de trois mois à l’Université de Maurice et une formation plus pratique à la MITD.
Le gouvernement a annoncé vouloir produire 60% des besoins du pays en énergie à partir des énergies renouvelables en 2030. N’est-ce pas mettre les charrues avant les bœufs? N’aurait-il pas dû faire une planification en bonne et due forme avant d’annoncer ces objectifs?
Cela paraît ambitieux pour les non-initiés, mais le gouvernement reste prudent avec ces 60%. Nous avons la capacité de produire plus, et en même temps il faut prendre en considération les critères économiques et sociaux.
Laissez-moi vous dire qu’il y a environ un an et demi, MARENA a fait une étude de faisabilité pour le photovoltaïque flottant. Maurice reste une petite île, et quand on parle du solaire, on parle des fermes photovoltaïques qui prennent beaucoup d’espace terrestre. Nous n’avons pas ce luxe! De ce fait, il faut explorer d’autres alternatives. On a commencé à voir quelle est la superficie d’eau douce disponible, pour ensuite l’étendre jusqu’à l’offshore.
Cette étude a démontré que Maurice a une capacité de 700 MW. Que veut dire 700 MW? Pour atteindre les 35 % d’énergies renouvelables en 2025, il nous faut produire environ 200 MW d’énergie verte supplémentaire. Et pour atteindre les 60% en 2030, il nous faut encore 600 MW. Donc avec le potentiel de 700 MW, on peut facilement tirer sa propre conclusion…
En collaboration avec la MARENA, le CEB vient d’ailleurs de lancer un exercice d’appels d’offres pour construire un projet pilote de photovoltaïque flottant de 2 MW à Tamarin Falls. Pourquoi est-ce important de démarrer avec un projet à petite échelle ? Dans le domaine des énergies renouvelables, il est très important de mesurer la performance et la fiabilité des projets, ceci en prenant en considération aussi le climat. Cela permettra ainsi de rassurer et d’attirer les investisseurs. La MARENA travaille en étroite collaboration avec la MPEU, le CEB et d’autres partis prenantes afin d’assurer que les 60% soient atteints. D’ailleurs, le CEB a déjà lancé son appel d’offres pour des projets équivalant de 3x 10 MW pour le solaire et 40W pour l’éolien.
C’est vrai que les installations photovoltaïques flottantes existent déjà dans une cinquantaine de pays. L’Inde s’y est déjà aventurée. Singapour a même une ferme photovoltaïque flottante offshore.
Suite à l’annonce faite durant le Budget Speech 2021/22 sur le besoin d’une étude de faisabilité pour l’offshore windfarms, MARENA a lancé un appel d’offre en août de cette année, pour entreprendre des études de faisabilité et sonder le potentiel des énergies renouvelables marines (tidal, wave, offshore wind). On est certes un petit pays mais avec une des plus grandes ZEE, soit 2,3 millions km2. C’est beaucoup de potentiel pour la marée motrice, l’éolien offshore, le photovoltaïque flottant et les vagues.
Dans la feuille de route pour l’énergie renouvelable qui date d’août 2019, on parle d’objectifs de 35% en 2025 et 40% en 2030, mais si vous lisez les annexes, vous verrez un tableau démontrant la capacité de Maurice à atteindre les 60%.
Néanmoins, il existe toujours beaucoup de doutes quant à la capacité réelle de Maurice de réaliser cet objectif de 60% d’énergie verte d’ici 2030…
Je suis très optimiste! La technologie existe et l’intérêt des investisseurs et le financement est aussi présent. La prochaine chose qui reste à maîtriser c’est la sensibilisation des citoyens et la formation des professionnels dans ce nouveau pilier de l’économie. Un manque d’information est souvent la barrière au changement. C’est pourquoi il faut cette conscientisation. Ce n’est pas un défaut, mais l’énergie renouvelable est nouvelle, il y a ce besoin d’éduquer les gens pour qu’ils l’incorporent dans leurs quotidiens. Et aussi que les jeunes puissent choisir cette filière de formation afin de booster le workforce nécessaire à la croissance de ce secteur.
Les énergies renouvelables vont être la prochaine révolution industrielle, car ça va changer notre mode de vie, nos industries, la façon dont on fait du business. Mais il y a un besoin de s’accorder. C’est pourquoi nous conscientisons les gens à cette transition énergétique.

A quand la nouvelle feuille de route revue par la MARENA?
Il y a déjà une feuille de route pour atteindre les 35% en 2025. La feuille de route des énergies renouvelables est amenée à être revue afin d’atteindre notre objectif de 60% en 2030.
Il n’y a-t-il pas de deadline?
Pour l’instant on a déjà la feuille de route pour atteindre les 35% en 2025. Il y a déjà des projets qui ont été lancés. Outre les 70 MW mentionnés, il y a le projet de 25 MW de ‘rooftop solar’. Il y a différents plans pour les bornes de recharge des véhicules électriques.
Pour la feuille de route de 60%, pourquoi c’est encore à l’étude? Parce qu’on a besoin d’autres éléments. Par exemple, qui dit énergie renouvelable dit instabilité. Si on peut faire brûler du charbon 24/7, par contre le solaire ou l’éolien ne peut être contrôlé par l’humain. L’irradiance optimale solaire dure entre 5 et 6 heures par jour pour Maurice, ce qui veut dire, que notre ferme solaire va être à sa puissance maximale durant ce lapse de temps.
Cette variabilité crée un débalancement sur la grille énergétique, ce qui est grave car il faut après corriger la fréquence, le voltage etc…Cela coûte évidemment de l’argent.
Le CEB a déjà investi dans 18 MW de BESS, (Battery Energy Storage System). Ces batteries compensent cette variabilité. Ces 18 MW vont permettre d’accompagner l’intégration d’environ 185 MW d’énergies renouvelables sur la grille énergétique.
Le CEB a aussi lancé une ‘Request for Information’ pour des systèmes hybrides pour compenser cette variabilité, et les propositions ont été évaluées en collaboration avec la MEPU et MARENA.
La MARENA a aussi lancé un appel d’offre pour une étude de faisabilité sur l’éolien offshore, qui est autofinancé, car les bureaux d’études viennent avec leur financement pour faire ce genre d’études. On a reçu pas mal d’intérêt!
Pourtant nous avons l’impression que le pays demeure en retard en matière d’énergies renouvelables comparé à d’autres pays.
Je dirais qu’on n’est pas du tout en retard.
Lors de la COP 26, la Première ministre des Barbades, Mia Mottley a d’ailleurs, dans son discours, pointé du doigt les pays du G7 et du G20. Ce sont eux qui sont en retard, car pour leur stabilité, ils ont préféré persister avec les énergies fossiles. Ils ne sont pas en train de bouger, ce sont les petits pays comme Maurice qui font le maximum.
Avec la montée des eaux ce sont les îles, comme Maurice, les Barbades, ou encore les Maldives ou les Seychelles qui vont souffrir. D’ailleurs nous avons eu le courage, avant même la COP 26, d’annoncer la production de 60% d’énergie verte et l’élimination du charbon en 2030. Nous nous sommes fixé un objectif. Même si notre émission de gaz à effet de serre est une goutte dans l’océan, on a pris l’engagement de réduire nos émissions de 40% jusqu’à 2030.
La COP 26 a été l’occasion de rappeler à l’ordre ces grands pays, car ce sont eux, les grands émetteurs de gaz à effet de serre. D’ailleurs, le Président de la COP qui a pleuré à la clôture du COP 26…
Donc nous ne sommes pas en retard et nous bougeons très vite et cela ira encore plus vite, avec le soutien de la population.
Si on devait benchmarker l’industrie locale des énergies renouvelables, à quel pays devrait-on se comparer, ou s’inspirer? Est-ce Singapour?
J’ai tendance à dire non. On a nos spécificités. Par exemple, un des éléments les plus importants quand on parle des énergies renouvelables, c’est le climat. Maurice a un climat différent de celui de Singapour. En termes de taille, on est plus grand, on a plus de potentiel. D’ailleurs lors de récents échanges avec des collaborateurs singapouriens, ils ont dit être impressionnés par ce que nous faisons à Maurice.
Au-delà du benchmarking, ce qui est important c’est de rallier les pays amis, qui ont la même vision. Lors d’une récente conférence organisée par la SADC Centre for Renewable Energy and Energy Efficiency (Sacree), on se demandait pourquoi l’Afrique n’arrivait pas à être producteur de panneaux photovoltaïque, pourquoi est-ce la Chine qui mène la danse.
L’Afrique est pourtant grande et on a les ressources pour développer une industrie des énergies renouvelables, mais malheureusement on ne sait pas s’en servir. Nos gens ne sont pas formés. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas éduqués, car l’Afrique a un fort taux d’éducation. Nous les Africains, nous accordons beaucoup d’importance à l’éducation. Mais il faut pouvoir les encourager à embrasser une carrière dans cette industrie. On a tout ce qu’il faut pour réussir, mais il est important de former les gens. La Chine l’a fait pour soutenir son industrie. Il y a un besoin d’échange, de partenariat et justement il faut qu’on arrête de se comparer aux autres.