Il est 19 heures au Japon et 14 heures à Maurice et malgré son agenda chargé, Nicolas Leong, a accepté, à bâton rompu, de répondre à quelques questions d’Investor’s Mag. Basé au Pays du Soleil levant, ce Mauricien occupe le poste de Energy Business Director pour la région du Nord et du Sud-Est asiatique au sein de la compagnie finlandaise, Wärtsilä. Il nous parle de son parcours, de l’effervescence nouvelle pour les énergies vertes, et de la quête de décarbonisation de Maurice.
Nicolas Leong est né à Camp Yoloff, a la périphérie de Port-Louis, et a mis le cap sur Singapour, après ses études secondaires au collège John Kennedy. “Malheureusement je n’étais pas assez bon pour être lauréat. Je n’ai été classé que 26ème dans la filière science”, dit-il en toute modestie. Pourquoi Singapour? “Parce que je n’étais pas issu d’une famille aisée et à l’époque, et même maintenant, Singapore offrait des prêts d’études. Pour Singapour, l’éducation n’a pas de prix, et on pouvait contracter des prêts couvrant 100% des frais d’études”, explique-t-il.
Nicolas y étudie ‘l’Electrical Engineering’ pendant 4 ans. Lors de la troisième année, il obtient une bourse pour des échanges à Grenoble en France.
L’ingénieur mauricien entrera de plain pied dans le domaine de l’énergie, en intégrant la compagnie japonaise Hitachi, qui avait un projet de centrale électrique à Singapour. Il sera embauché comme “Project Engineer”. Après Hitachi, Nicolas reste dans le domaine de l’énergie et travaille pour de nombreuses compagnies étrangères: indienne, espagnole puis finlandaise. En effet, depuis 6 ans et demi, il a rejoint la compagnie Wärtsilä, un fournisseur de technologie dans le domaine marine et énergétique.
“Presque la moitié des paquebots dans le monde sont propulsés par les moteurs de Wärtsilä”, explique-t-il. 35% de l’électricité produite à Maurice est d’ailleurs issue des moteurs de Wärtsilä. “Honnêtement je ne le savais pas avant et c’est seulement quand j’ai rejoint la compagnie que je l’ai appris”, dit-il.
“The one and only Mauritian working at Wärtsilä”
Sur le site web de Wärtsilä, Nicolas Leong est décrit comme “the one and only Mauritian working at Wärtsilä”. Il est aujourd’hui le Energy Business Director pour la région du Nord et du Sud-Est asiatique. Il est actuellement basé au Japon, dans le cadre d’un contrat d’expatrié de deux ans.

Le changement climatique et toutes ses conséquences sur la planète, sont intrinsèquement liés à la question énergétique, puisque ce sont les énergies fossiles que nous utilisons qui sont à l’origine de la problématique des gaz à effet de serre et des émissions de CO2. Pour soutenir ce réveil écologique, outre le fait d’aider ses clients et des pays dans le cadre de la transition énergétique et la décarbonisation, Nicolas dit essayer tant faire que peut, de partager ses connaissances à un grand nombre, grâce aux réseaux sociaux.
COP 26 : “Walk the talk”
Alors que la COP 26 vient de se terminer à Glasgow, Nicolas dit être resté sur sa faim. “Je pense qu’on aurait pu faire plus. Ni les États-Unis, ni la Chine n’ont pris d’engagements”, dit-il. “La bonne nouvelle, c’est que des leaders de nombreux autres pays, à l’instar de Maurice, sont venus de l’avant pour affirmer leur intention de décarboniser leurs productions énergétiques. Gageons que ces acteurs vont “walk the talk”. Pour moi, quand un leader d’un pays fait ce genre de discours, dans ce genre de forum, c’est non seulement une promesse à son pays mais également au monde entier. Malheureusement, très souvent, après quelques années, les gens oublient. Il existe maintenant une prise de conscience à l’effet que le changement climatique va affecter le monde entier et les entreprises accélèrent leur processus de transition énergétique. Espérons des changements en conséquence. Réussir la neutralité carbone n’est pas quelque chose d’aisé à atteindre. C’est un marathon et pas un sprint. ‘Change does not arrive overnight’. Nous verrons lors de la prochaine COP à Dubaï, s’il y a eu des développements positifs”.
Asie-Pacifique : l’Australie “leads the pack”
Selon notre interlocuteur, c’est l’Australie qui “lead the pack” actuellement dans la région de l’Asie-Pacifique dans le domaine des énergies renouvelables. “Par exemple, dans le sud de l’Australie, ils ont réussi, pendant une journée entière cette année, à ne fonctionner qu’à base d’énergie renouvelable, sans utiliser du charbon. Ainsi, 70% de l’électricité a été produite grâce au rayonnement du soleil et 30% grâce au gaz naturel. C’est la raison pour laquelle, il y a beaucoup de développeurs qui se rendent en Australie pour développer le solaire, l’éolien ou faire du déploiement de solutions de stockage d’énergie verte”, dit-il.
Il cite également l’exemple de Singapour, “une City State beaucoup plus petite que Maurice”. “Pratiquement toute l’électricité de Singapour est produite par des centrales tournant au gaz. Contrairement à Maurice, ils ne brûlent pas d’huile lourde. Vu qu’ils ne disposent pas de beaucoup d’espace, ils en créent. Ils ont des projets de panneaux solaires flottants dans les réservoirs, ce que Maurice aurait pu répliquer”, constate aussi Nicolas. Et d’ajouter: “Ces panneaux n’affectent pas l’écosystème, ils préviennent contre l’évaporation, et en plus ils bénéficient du “cooling effect””.
Il existe maintenant une prise de conscience à l’effet que le changement climatique va affecter le monde entier et les entreprises accélèrent leur processus de transition énergétique.
Nicolas Leong | Energy Business Director | Wärtsilä
Nicolas Leong explique que les toits des entrepôts de Singapour sont également de plus en plus pourvus de panneaux solaires. “Beaucoup de développeurs viennent à Singapour. Le secteur a été libéralisé, et par exemple, qui que ce soit peut vendre son électricité à des entreprises. Les agences financières sont d’ailleurs friandes de ce genre de projets. Ils veulent prêter de l’argent”, affirme-t-il.
Si le vert semble être la tendance actuellement, Nicolas rappelle néanmoins les complexités dans la mise en application des projets afférents. La production d’énergie demeure irrégulière, ou plus précisément « intermittente ». Concrètement, pour qu’un panneau photovoltaïque fonctionne, il faut du soleil. A défaut de soleil, il n’y a tout simplement pas de production d’électricité. Idem pour l’éolien. “C’est là où le stockage d’énergie verte entre en jeu. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, nous parlons aussi beaucoup de la flexibilité. Tout l’enjeu consiste à optimiser les flux quand les fermes éoliennes et solaires produisent le plus et, à l’inverse, à compenser leur intermittence quand il y a une baisse de production”, explique notre interlocuteur.
Ce dernier souligne l’exemple de la construction, par Elon Musk, de la plus grande batterie lithium-ion au monde dans le but d’aider l’Australie du Sud à résoudre ses problèmes énergétiques.
Selon lui, pour qu’un pays puisse optimiser la production d’énergies renouvelables, il faut toute une planification au préalable. “Il y a, parfois, des décisions difficiles à prendre. En tant que Mauricien travaillant pour Wärtsilä, j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux ministres de l’énergie, notamment du Cambodge, du Myanmar, de Singapour, ou encore du Viêtnam. Ce que je leur dis; donnez-nous vos données, et nous allons les modéliser pour produire un étude du système, suite à quoi vous pourrez prendre les meilleures décisions. Il faut se servir de la “right technology for the right purpose”. Nous avons des exemples aux États-Unis, ou encore en Allemagne où des centrales sont devenues économiquement non-viables, après cinq ans, car elles ne pouvaient lutter contre le renouvelable”, explique-t-il.
“Un objectif difficile”
Nicolas Leong reste cependant sceptique quant à la capacité de Maurice à produire 60% de ses besoins énergétiques à partir de sources renouvelables en 2030. “C’est un objectif difficile pour n’importe quel pays. Pour Maurice, la difficulté est accrue, car malheureusement, il s’agit d’un État insulaire. Nous ne sommes pas bénis par les ressources naturelles comme le gaz naturel. Le pays ne bénéficie pas d’une radiation solaire élevée. Nous n’avons pas investi dans le GNL (gaz naturel liquéfié). Étant donné la situation géographique de Maurice, le pays aurait dû devenir un hub pour le GNL. L’île aurait pu importer le GNL du Mozambique pour l’exporter vers l’Asie. C’est ce que Singapour est en train de faire!”, poursuit notre interlocuteur.
Actuellement plus de la moitié de l’électricité produite à Maurice l’est par le biais du mixte bagasse/charbon. L’énergie renouvelable compte pour moins de quart de la production et le reste provenant d’huile lourde. “Nous aurions, peut-être, dû commencer à investir dans des technologies afin de rendre la production d’énergie à base de bagasse/charbon plus verte, en réduisant l’utilisation du charbon”, suggère Nicolas.
Ce dernier fait aussi état de son scepticisme quant à la volonté de Maurice pour attirer des investisseurs dans ce secteur d’activité : “Je ne le vois pas. Peut-être que je me trompe. Il semble que c’est l’industrie des services financiers qui est davantage mise en avant. Avec sa position géographique et si les autorités viennent avec des incitations fiscales ou offrent des garanties souveraines, le pays devrait pouvoir attirer plus d’acteurs du domaine des énergies renouvelables. Pour l’instant, je n’ai pas l’impression qu’il y ait suffisamment de ‘roadshows’ pour être visible. Beaucoup se demandent pourquoi aller à Maurice alors qu’on peut aller directement en Afrique”…